L'information nous était parvenue dès le début du mois de mai dernier: Rob allait faire son grand retour à Uccle, et même à Fort Jaco où l'enseigne avait longtemps eu un point de vente. Les riverains du quartier nous avaient même précisé que le magasin s'installerait dans une concession automobile Skoda désaffectée. Les équipes de Carrefour à qui nous avions aussitôt demandé confirmation avaient alors démenti, évoquant une rumeur tenace. C'était un écran de fumée: le tuyau n'était pas crevé. Et l'information est cette fois officielle: Rob revient à Fort Jaco, à deux pas de la Grande Epicerie. Ce n'est qu'à l'horizon 2020 que le magasin devrait ouvrir ses portes, sur une surface généreuse de 2.500 m2 (dont 1.500 m2 de surface commerciale, soit autant qu'à Woluwe), réaménagée en collaboration avec le promoteur Bouygues Immobilier Belgium.
Pour Rob, cette nouvelle forme un retour aux sources: c'est déjà à Fort Jaco que l'enseigne avait ouvert son 2e magasin, après celui de la chaussée d'Ixelles, en 1961. Un quartier qui est alors loin d'être aussi doté de commerces haut de gamme qu'il ne l'est aujourd'hui. Quand Rob est en proie à des difficultés voici 25 ans, son nouveau propriétaire, le groupe GIB, décide de sa fermeture (voir historique ci-dessous). Rétrospectivement, l'endroit était pourtant plus que propice, puisque entretemps fréquenté par une clientèle huppée. Un élément qui s'est depuis lors confirmé avec l'arrivée de nombreux citoyens français fortunés, venus profiter du charme d'une belle commune et du climat fiscal favorable (tant qu'on ne vit pas des revenus de son travail). Nul doute que ce micro-climat économique aura encouragé Rob, et son actionnaire Carrefour, à revenir sur les terres uccloises. Et le développement de Cru, l'enseigne gourmande de Colruyt, aura certainement fait réfléchir les stratèges du groupe.
Cru, davantage un incitant qu'une menace
L'arrivée de Cru à Overijse, à quelques kilomètres à peine, n'a pas fait de mal à Rob, dont le magasin de Woluwe se porte toujours comme un charme. Les deux concepts ne se superposent pas exactement: Rob vend du frais, un vaste assortiment d'épicerie sèche, et une cave richement dotée. Cru se focalise sur le frais, dans des magasins de taille plus modeste, en opérant des choix: l'assortiment sec est très limité, le vin est proposé sous forme de sélections temporaires. Il y a bien sûr ce qui rassemble les deux enseignes: une qualité premium, un service au comptoir, et même la possibilité de consommer sur place (dans le cas de Rob, il s'agit d'un restaurant à part entière). En développant son réseau ( Overijse et Wijnegem vont bientôt être rejoints par Gand ) Cru a finalement prouvé qu'il y avait une place, sans doute limitée, pour une offre de très haut niveau, dans des zones à haut pouvoir d'achat. Plus qu'une menace, Cru aura sans doute constitué pour Rob un encouragement quant au potentiel dont dispose son positionnement.
Rob, toute une histoire
Le premier magasin Rob s'ouvrit en 1942 à Bruxelles, Chaussée d'Ixelles, tout proche de la porte de Namur. Pas besoin de chercher loin pour trouver l'origine du nom: il renvoie au prénom du fondateur Robert Yerna. Négociant en fruits et légumes, il avait coutume d'inscrire "Rob" sur les casiers qu'il achetait au marché matinal. Quand il se dispute avec son patron, il décide de se mettre à son compte en ouvrant cette épicerie axée sur les fruits et légumes. Au lendemain de la guerre, l'entreprise se développe, en gagnant une réputation de spécialiste de haute qualité. Rob devient en 1946 une société anonyme, dont seuls les collaborateurs actifs ont le droit d'être actionnaires. Rob prospère à Ixelles, et Robert Yerna n'est pas favorable à l'ouverture d'autres points de vente. Mais ce n'est pas l'avis de Georges Bils qui devient Directeur de l'enseigne en 1961: il met en chantier un deuxième magasin à Uccle, à Fort Jaco. En 1972, c'est le vaisseau amiral du boulevard de la Woluwe qui ouvre ses portes. Robert Yerna a entretemps disparu.
Quand viennent les années 80, Rob rencontre des difficultés. Si le produit et le service sont toujours irréprochables, il faut sans doute s'appuyer sur un actionnariat plus puissant: ce sera le GIB Group, en 1989. Le nouveau propriétaire procède à une douloureuse restructuration: le Rob d'Ixelles ferme ses portes: c'est que son environnement a bien changé. Autrefois lié au bastion chic que représentait la Toison d'or, son quartier forme désormais le coeur du cosmopolite Matonge, petite enclave tropicale au coeur de la capitale belge. Fort Jaco est alors aussi sacrifié.
Le magasin du boulevard de la Woluwe, lui, tient bon: la clientèle exigeante est disposée à se déplacer, parfois de loin, pour accéder au temple bruxellois de la gastronomie et sa zone de chalandise est bien plus vaste qu'un supermarché traditionnel (on parle de 25 km). Si bien que quand Carrefour rachète GB en 2000, et hérite de Rob par la même occasion , le magasin a déjà retrouvé la rentabilité. Il fait depuis lors preuve d'une belle dynamique en se remettant régulièrement à jour. L'actuel directeur de Rob, François Pinchart, évoque d'ailleurs une nouvelle phase de modernisation à venir pour le magasin de Woluwe.
Photos: Carrefour Property Division