Coup de tonnerre dans le milieu de la distribution belge, après la révélation ce week-end, par nos excellents confrères du Tijd et de l'Echo, de l'entame de discussions visant à étudier l'hypothèse d'une fusion entre les Groupes Ahold et Delhaize. Un scénario qui n'est pas totalement inédit, comme le rappellent les auteurs de l'article, puisqu'il est de notoriété publique que les deux groupes concernés avaient conduit des discussions avancées en 2006-2007, sans toutefois aboutir à un accord. (Update: l'information s'est vu confirmée le mardi 12 mai par les deux parties).
A l'époque, c'est plus que probablement le développement aux Etats-Unis qui encourageait cette hypothèse. Les deux groupes, certes puissamment implantés sur leurs marchés d'origine, avaient vu leur centre de gravité se déplacer vers le marché américain. Acteur dominant du retail néerlandais - Albert Heijn y compte une part de marché supérieure à 34% - Ahold tire pourtant 60% de son chiffre d'affaires et 55% de sa marge opérationnelle du marché américain. Dans le Groupe Delhaize, les opérations américaines contribuent pour 63% aux revenus, contre 23% à la Belgique, et 14% au sud-est de l'Europe.
Si les deux groupes ont connu leur lot de difficultés sur le marché américain, ils y enregistrent aujourd'hui des performances solides. Ahold, sorti de la délicate affaire de fraude comptable apparue dans sa filiale US Foodservice, dégage aux Etats-Unis une marge opérationnelle de 3,8%. Et Delhaize, débarrassé du "boulet" que représentait son enseigne discount Bottom Dollar, affiche la même performance (3,8%) au premier trimestre 2015. En Europe, la situation est au contraire très contrastée. Ahold ne communiqura ses résultats du premier trimestre que le 27 mai prochain, mais le dernier rapport annuel (2014) fait état d'une marge opérationnelle de 4,9% aux Pays-Bas. Le rapport trimestriel déjà publié par Delhaize montre au contraire que le résultat du Groupe est plombé par la pauvre performance des activités belges: une faible marge opérationnelle (1,4%), et des ventes en magasin en recul de 2,8%.
La Belgique, nouveau maillon faible
Certes, Delhaize a traversé cette année en Belgique une sérieuse zone de turbulences, avec l'annonce du plan de restructuration et l'impact en magasins des mouvements de grèves qui l'ont accompagné. La filiale belge pourrait légitimement réclamer de la patience, au moment où elle digère un choc de cette importance, et tâche de séduire le consommateur avec un discours qui, sans abandonner totalement le terrain du prix, met à nouveau en valeur les arguments qualitatifs qui font partie de son ADN historique. Mais la patience n'est pas nécessairement la vertu première des actionnaires. Et ceux-ci ont donc, si l'on croit nos confrères, remis sur la table un scénario de fusion qui avait autrefois capoté, sur base de la complémentarité réelle des réseaux des deux groupes. Et c'est d'autant plus réaliste que les réticences des actionnaires familiaux ne semblent plus d'actualité. Les héritiers Delhaize n'agissent pas en bloc homogène et n'ont plus de tabou à observer, depuis qu'ils ont rompu celui du départ de Pierre-Olivier Beckers. Si les actionnaires semblent pousser à la manoeuvre, l'hypothèse d'une fusion reste toutefois soumise à bien des obstacles.
Sur le plan opérationnel, au Benelux, la constitution d'un puissant groupe peut bien entendu se révéler un atout, ne fût-ce que dans le volume d'achat. Mais ce n'est pas non plus la panacée garantie. Chaque enseigne - Delhaize ou Albert Heijn - dispose de caractéristiques et cultures propres, bien qu'Albert Heijn ait longtemps servi de modèle pour le distributeur au lion. Mais l'échec de la dernière tentative de rapprochement, et l'arrivée d'Albert Heijn en Flandre ont laissé des traces. Delhaize a par exemple quitté le groupement d'achat européen AMS, où il cotoyait Albert Heijn, pour s'allier à Leclerc.
Pourparlers ou pas, la problématique à laquelle est confrontée Delhaize Belgique reste la même: faire très rapidement évoluer cette marge opérationnelle à un niveau que le Groupe juge plus conforme à ses attentes, dynamiser les ventes, et rassurer sur le bien-fondé d'une stratégie visant à restaurer la différentiation qualitative de l'enseigne. Plan de restructuration, concurrence accrue, climat économique favorable aux discounters: les astres sont mal alignés depuis quelques mois pour Delhaize Belgique. La nouvelle des discussions menées à l'échelon des groupes ne devrait rien faire pour soulager la pression - réelle - qui s'exerce sur les équipes belges. Au contraire. Mais elle risque de rendre tout aussi nerveux leurs principaux concurrents.