Le meilleur du commerce américain
Go west ! Telle était la devise des pionniers, en quête d’avenir et de nouvelles terres à défricher. Pour les professionnels du retail, l’observation des pratiques du commerce américain s’impose. Un actif américain sur quatre ne travaille-t-il pas dans le secteur? Frank Rosenthal, expert en marketing et distribution, et bloggeur très suivi par la planète retail, a eu la bonne idée de lui consacrer un livre dont on ne peut que recommander la lecture. Frank Rosenthal ayant récemment fait un court passage par Bruxelles, rendez-vous fut pris pour évoquer son nouvel ouvrage.
Frank Rosenthal, pourquoi cette curiosité spécifique pour le commerce américain?
Le projet de ce livre est né de ma passion pour le retail, mais aussi d’un étonnement recent. Nous vivons aujourd’hui en Europe, et singulièrement en France, dans un climat de morosité économique. Je me rends régulièrement aux Etats-Unis, mais je fus frappé par un voyage en 2010, alors que ce pays sortait de la crise des subprimes, un choc épouvantable qui vit le commerce enregistrer des baisses de -3% ou -4%. Ils étaient pourtant déjà occupés à remonter la pente. Les Américains sont volontiers excessifs, et tout peut évoluer rapidement dans les deux sens. En l’occurence, la dynamique de 2010 était celle de l’enthousiasme, offrant un vrai contraste avec le commerce en France. C’est aussi le pays leader mondial en matière de commerce, et il va le rester encore un bon bout de temps. Je me suis rendu 15 fois aux Etats-Unis en l’espace de quatre ans. Plus j’y observais des magasins d’enseignes célèbres - comme Wal-Mart - ou inconnues ici - comme Tractor Supply - plus je m’apercevais qu’il y avait de bonnes pratiques dont les enseignes européennes pourraient s’inspirer. C’est la démarche de ce livre, sous-titré «Inspirations, idées, excellence», qui veut livrer une vision sélective et optimiste du commerce américain.
Les stratégies des grandes enseignes américaines semblent particulièrement avancées en matière de complémentarité «clicks & bricks», magasins physiques et webshops. Elles ne semblent pas percevoir l’avènement du e-commerce comme une menace...
La grande qualité de leur activité en la matière, c’est qu’elle adopte le point de vue du consommateur. C’est du cross-canal: permettre au consommateur de passer de façon fluide d’un canal à l’autre. Quand vous faites vos courses chez Macy’s (ndlr: légendaire chaîne de «department stores»), vous avez à tout moment le choix de faire vos courses sur place en emportant vos achats, ou de vous les faire livrer ensuite à domicile, voire de tout faire à distance. Ce n’est possible que grâce à certaines conditions. D’abord celle du prix du service, qui ne se pose pas: 59% des produits livrés au Etats-Unis le sont gratuitement, selon des chiffres évoqués lors du salon NRF en 2013. Ils ont aussi une certaine culture de la logistique qui les aide à l’accomplir. Et l’absence de rigidité sociale ou administrative fait le reste. En période de fêtes, en France, beaucoup de gens privilégient désormais le web, parce que les magasins sont saturés. Les chaînes américaines vont elles se donner les moyens de résoudre le problème. On n’hésite pas à recruter plusieurs milliers de collaborateurs temporaires pour gérer l’afflux du fameux «Black Friday». C’est simple, fluide, on n’oppose pas un canal à un autre.
Prospère sur ses propres terres, le retail américain semble parfois moins triomphant quand il s’exporte à l’international. Est-ce du à un facteur culturel? A une méfiance envers des systèmes sociaux plus contraignants? A la taille de leur immense marché local, qui suffit à leur bonheur? Ou le vrai territoire de conquête est-il le web?
Il y a un peu de tout celà à la fois ! D’abord, il reste effectivement de confortables marges de développement sur le territoire des Etats-Unis. Si vous prenez le classement des 50 premières enseignes, vous vous apercevez que seules 16 d’entre elles sont présentes dans les 50 états. Des poids lourds de la distribution tels que Costco ou Kroger sont encore absents de, respectivement, 10 et 19 états! Et la présence dans un état ne signifie pas pour autant qu’on y ait atteint le point de saturation. On a tendance à croire un peu rapidement que la taille ultra-large du marché américain est un atout dont bénéficient les enseignes. Leur point de départ est en réalité toujours local, et ce n’est que progressivement qu’elles se développent au-delà de leur bastion. C’est l’esprit d’entreprise qui leur permet de s’étendre. L’autre constat, c’est que la conquête de nouveaux territoires se fait aujourd’hui par le e-commerce. L’enseigne de décoration Crate & Barrel a débuté le e-commerce en 2008. Elle livre aujourd’hui dans 90 pays. Les consomma- teurs d’e-commerce européens achètent de plus en plus facilement à l’étranger. C’est un facteur dont peuvent profiter les enseignes américaines, en particulier celles qui ont un positionnement spécialisé. Quitte à franchir le pas ensuite: ouvrir un premier magasin à Londres, et s’étendre en Europe si l’expérience est positive.
Impossible d’évoquer le commerce américain sans évoquer l’épouvantail Amazon... Qui semble ne plus vouloir limiter ses ambitions au seul non-alimentaire. Une menace crédible?
Quand je discute avec des enseignes françaises, je m’aperçois qu’autant elles sont vigilantes sur le non-alimentaire, autant elle ne craignent à terme pas du tout Amazon sur l’alimentaire. Sans même parler d’Amazon Fresh à Seattle et Los Angeles, il vous est déjà tout à fait possible aux Etats-Unis de commander votre pack d’Evian sur Amazon, dans la catégorie «Grocery & Gourmet Food». On a beau ne pas associer spontanément ali- mentaire et Amazon, le chiffre d’affaires qu’ils dégagent aujourd’hui sur l’épicerie aux Etats- Unis pèse déjà plus lourd que le total du chiffre d’affaires du drive en France. La bonne réponse, c’est de travailler l’expérience client. C’est d’ailleurs une des explications possibles que je donne au succès actuel du drive en France. C’est peut- être un succès par défaut, l’indice d’une absence d’expérience valorisante en magasin.
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