Achetez davantage ‘belge’: l’appel de cinq CEOs suscite bien des émotions et des réactions. Mais la question peut tout aussi bien être inversée, dit Pierre-Alexandre Billiet, expert marketing et CEO de Gondola Magazine: pourquoi les retailers belges n'achètent-ils pas plus belge eux-mêmes? Ce n'est que si tout le monde (détaillants, fabricants et marques) répond à la question, que cela pourra mener à une réalité économique appropriée.
Les retailers ont beaucoup de pouvoir. Beaucoup plus qu'ils ne le pensent. Ils jouent un rôle extrêmement important dans l'éducation des consommateurs. Ils connaissent les consommateurs comme personne d'autre, ils savent ce qui est important à leurs yeux. Des enquêtes démontrent que les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux produits régionaux ou locaux. Les ventes fermières ont augmenté de 15 % l'an dernier, aussi rapidement que le commerce électronique. La durabilité est également en hausse en tant qu'indicateur de consommation. Dans ce contexte, l'appel lancé par cinq CEO belges pour acheter davantage auprès d'entreprises belges est parfaitement compréhensible. Il s'inscrit dans le contexte d’une économie plus locale et plus durable. Produire localement, consommer localement: personne ne peut s' y opposer. Les supermarchés français mettent leurs propres produits français en vedette et placent des petits drapeaux pour montrer aux consommateurs que la marchandise est de leur propre terroir. C’est illégal aux yeux de l'Europe, mais auprès des détaillants, des marques et des consommateurs, c'est un grand succès. Un succès que personne ne peut ignorer.
Plus durable
La question est de savoir si l’appel des détaillants va assez loin et pourquoi ils ne donnent pas eux-mêmes l'exemple en achetant belge. Ils ont non seulement une relation unique avec les consommateurs, mais également avec leurs fournisseurs. Ils peuvent apprendre – éduquer, pour utiliser le terme - à la fois aux clients et aux fournisseurs à acheter et à produire de façon plus durable. Les retailers ont donc un rôle important à jouer dans cette histoire. Un rôle très important. Dès lors, un simple appel pour acheter plus ‘belge’ ne suffit pas. Que ce ne soit pas une occasion manquée de sensibiliser davantage toutes les parties - consommateurs et producteurs - à ce qu'elles peuvent et devraient faire, mais une première excuse pour poser les bonnes questions: consommer consciemment, produire consciemment et vendre consciemment.
Valeur ajoutée
Il est regrettable que les retailers n'expliquent pas clairement pourquoi les consommateurs devraient acheter chez eux. Ou pas assez clairement. L’argument qu’ils avancent est le soutien à l'économie locale. Mais que signifie cet argument si vous n'achetez pas vous-même belge? Pourquoi les détaillants ne précisent-ils pas clairement la valeur ajoutée qu'ils apportent aux consommateurs belges ? Pourquoi ne disent-ils pas clairement ce qu'ils représentent ? Les consommateurs n'achètent pas seulement un produit, mais aussi les valeurs qui s' y rattachent. Dites-le clairement et vous aurez aussi une argumentation plus forte.
Où sont les CEOs wallons?
Et où sont les entreprises wallonnes qui soutiennent cet appel? Acheter belge, c'est aussi acheter wallon, ou pas? Dans la pratique, de nombreux consommateurs wallons achètent sur les sites français. C'est une des raisons pour lesquelles Amazon est la boutique en ligne la plus populaire dans notre pays: de nombreux francophones achètent par le biais du site français des géants de l'e-commerce. Si nous voulons produire et acheter localement, nous devons aussi oser regarder au-delà de la frontière linguistique. Pas seulement de l'autre côté de la frontière linguistique d’ailleurs, mais également au-delà de toutes les frontières entre consommateurs et producteurs. C'est une histoire dans laquelle tout le monde peut et doit être impliqué. C'est pourquoi l'appel des cinq CEOs ne doit pas être une occasion manquée, mais une première chance.