Avec Boni Appetit, Colruyt franchit une nouvelle étape dans sa politique de marque de distributeur, celle de l'innovation. Cette alternative "on the go" au petit déjeuner est séduisante. Mais elle échappe un peu à la vocation des points de vente du Groupe, qui ne dispose pas d'un véritable format de proximité / trafic routier.
C'est une première: Colruyt invitant la presse pour le lancement d'un nouveau produit dans son assortiment MDD, rassemblé comme on le sait sous le nom de famille "Boni". C'est bien sûr le signe de la fierté légitime des équipes qui ont travaillé deux ans pour élaborer ce produit au positionnement inédit. Mais c'est aussi à nos yeux l'indice d'une nouvelle étape dans la politique "private label" du leader du marché. L'assortiment à marque propre de Colruyt n'eut longtemps qu'un rôle défensif. C'est sur les marques nationales, où le comparatif pouvait s'établir sur des références rigoureusement identiques, que Colruyt était en mesure de mettre en évidence son avantage prix. L'assortiment private label n'avait pour mission que d'offrir une alternative économique aux produits des hard discounters. Significativement, la gamme de produits développés par Colruyt n'était alors pas coiffée par une marque unique, mais, tout comme chez les hard discounters, elle se déclinait en une foule de sous-marques dédiées à certaines catégories.
Quand l'innovation entre dans l'ADN de Boni
Bientôt, le panorama belge de l'offre marques nationales et private labels allait pourtant changer. C'est Lidl qui introduisait les best sellers des grandes marques nationales dans ses linéaires, finalement rejoint l'an passé par Aldi. Entretemps, Delhaize et Carrefour n'avaient pas chômé, et développé une offre large, riche, qualitative et segmentée (sur le modèle bien connu construit autrefois par Tesco) de produits à marque propre. Et ici, pas question de paravents et de sous-marques obsures. C'est avec fierté que ces enseignes open market revendiquaient la paternité de ces produits porteurs de leurs logos, dont ils faisaient un argument à part entière de recrutement et fidélisation du consommateur. Il y avait potentiellement un danger pour Colruyt à maintenir ses private labels dans un rôle strictement défensif: à trop vouloir marquer à la culotte les hard discounters, cette offre risquait de manquer de visibilité face à ce que proposaient les autres concurrents. En mai 2013, Colruyt change donc son fusil d'épaule, et abandonne une cinquantaine de prête-noms variés tels que Galaxy, Lisa, Belsy ou Eldorado pour regrouper toute son offre sous un label unique, Boni. Le segment premier prix reste pour sa part désigné sous la marque Everyday. Et seuls une série de produits devenus iconiques ont conservé leur nom: le café Graindor, torréfié par Colruyt, et bien sûr la célèbre Cara Pils, dont le consommateur avait clairement fait comprendre en 2015 qu'il ne souhaitait pas la voir rebaptisée Everyday.
Le regroupement sous la marque Boni avait clairement le mérite de la rationnalité, une valeur très prisée par Colruyt. Il offre bien plus de lisibilité à l'offre MDD du groupe. Mais jusqu'ici, l'assortiment était effectivement purement rationnel, sans prétention particulière à apporter au marché de l'innovation. Et c'est donc à ce titre que la présentation de Boni Appetit représente un tournant. Bien sûr, on peut être tenté de n'y voir qu'un produit particulier, une forme d'exception. Sauf que ce produit n'est pas un accident mais le résultat d'une méthode et de structures construites pour le développer. Le groupe s'est doté d'un département R&D&I, où le "I" renvoie à Innovation. Et Colruyt Group Fine Food, dirigé par Stefan Goethaert, gère de façon transversale tous les produits des différentes filiales, du retail au foodservice, et les compétences qui les mobilisent. Boni Appetit n'est pas un simple contretype d'un produit existant, c'est de l'aveu même de Colruyt le résultat d'une vaste étude de marché branchée sur les styles de vie des consommateurs. Cette volonté annoncée de "lancer de nouvelles idées sur le marché" est un ton nouveau pour Colruyt, même si on ignore à ce stade si d'autres innovations sont dans le pipeline.
Conçu pour le consommateur mobile
Trêve de commentaires généraux, et retour au produit, clairement profilé sur le mode de vie du consommateur contemporain, celui qui fait trop souvent l'impasse sur le petit déjeuner, faute de temps. C'est le "trendwatcher" Herman Konings, invité par Colruyt à introduire la présentation de Boni Appetit, qui décrit ce contexte: "En 25 ans, la population des actifs a perdu pas moins de 7 heures par semaine. Sociologiquement, la répartition entre "Blue Collar" et "White Collar" s'est inversée, passant de 60/40 à 40/60. Et ces individus sous pression sont souvent bloqués dans les embouteillages..." Boni Appetit entend leur apporter une solution, une alternative qualitative au petit déjeuner, se présentant sous forme d'une boisson susceptible d'être consommée facilement en tout lieu. « Il est important d’insister sur le fait qu’il ne s’agit ni d’un smoothie, ni d’une boisson protéinée, encore moins d’une boisson de régime », précise Julie D’Haenens, responsable du projet. « Boni Appetit est un repas à boire complet et nourrissant, qui offre une réelle sensation de satiété. (...) Différents prototypes ont été développés, sous forme de poudre ou de boisson. C’est la boisson qui s’est avérée la plus pratique en fin de compte. Nous avons accordé une attention particulière à une composition naturelle du produit ainsi qu’aux valeurs nutritives. Nous avons fait l’essai avec des associations salées, comme tomate-carotte et poivron-origan, mais le résultat faisait trop penser à de la soupe froide. Nous avons ensuite testé différents fruits, pour choisir ceux qui sont sortis grands gagnants des tests de goût : mangue-fruit de la passion et framboise-myrtille. » Et c'est vrai que le résultat est convaincant à la dégustation: nourissant sans être écoeurant, Boni Appetit évite judicieusement l'impression d'une douceur excessive, à l'heure de l'hystérie anti-sucre qui se propage dans le public.
Adapté aux formats commerciaux du groupe?
Commercialisé au prix unitaire de 2,49 euros, Boni Appetit est disponible depuis ce 18 janvier au rayon frais des magasins Colruyt, OKay, Spar ainsi que sur le site Collect & Go. N'étant pas labellisé bio, il n'a pas sa place chez Bio-Planet, et Alvo, livré par Retail Partners Colruyt Group, ne semble pas concerné. Ce (puissant) réseau de distribution est d'ailleurs le principal élément de doute qui nous traverse à propos de cette innovation. Voilà un produit qui semble taillé sur mesure pour les formats de proximité, tels qu'on les trouve le long des axes routiers, dans les shops de stations-service, ou dans les lieux de passage de la population active. Or, à l'exception peut-être de quelques OKay Compact, Colruyt ne dispose pas d'un format spécifiquement dédié à cette vocation 'on the go', à l'image de ce que représentent express, Shop & Go ou louis delhaize chez les concurrents. Si le produit trouvera naturellement sa place au rayon frais à côté d'autres produits de consommation nomade, il faudra malgré tout en tenir compte pour convaincre le shopper d'anticiper l'achat à défaut d'être présent au moment où le besoin apparaît. Un achat plus planifié qu'impulsif: ce n'est pas une évidence pour un tel produit, mais c'est aussi conforme à la shopping mission Colruyt...