Au Royaume-Uni, le Brexit commence à produire des effets gênants, y compris dans le food retail, où Unilever et Tesco ont engagé un bras de fer commercial. Plus largement, c'est la perspective d'un "hard Brexit" qui met à mal la confiance des fournisseurs et détaillants, alors que celle des consommateurs reste provisoirement favorable.
Les delistings très temporaires pratiqués sélectivement dans le groupe Ahold-Delhaize pour cause de désaccords commerciaux ne sont pas une exception propre au Benelux. La preuve avec cette fâcherie au Royaume-Uni entre Tesco et Unilever. Cette fois, c'est le fournisseur qui a unilatéralement décidé de stopper la fourniture d'une série de produits à la chaîne leader du marché. Un litige très spectaculaire et handicapant pour Tesco, puisque dans de très nombreux magasins du pays, une série de produits de marques Unilever sont en rupture, et non des moindres: Persil, Surf, Dove, Comfort, Ben & Jerry’s , Elmlea, Colman’s, Helmann’s, Marmite, Knorr, Bertolli, Flora, Comfort et Pot Noodle.
Vu ce jour sur le webshop Tesco: les produits Unilever sont en rupture. Et ceci vaut aussi pour d'autres catégories que le laundry...Le cours de change défavorable impacte les prix d'achat
L'origine du conflit tient à la démarche d'Unilever, qui a contacté ses principaux clients pour leur faire accepter des hausses de prix très significatives (elles pourraient atteindre 10%) en raison de l'impact, actuel mais aussi redouté pour le futur, du Brexit. Le cours de la livre continue d'évoluer à la baisse, et la cacophonie actuelle au sein du gouvernement, où Theresa May n'a pas désavoué la ligne dure des partisans d'un "hard Brexit" , fragilise encore un peu plus la devise britannique.
Les fournisseurs, et tout particulièrement Unilever, considèrent que ce change défavorable impacte inévitablement le prix de certaines matières premières ou produits transformés fabriqués sur le continent. Certes, nombre d'entre eux sont couverts contre les risques de change, mais à court terme, et rarement au-delà de l'année calendaire en cours.
Dès le mois de juillet, au lendemain du vote, Paul Polman, le CEO d'Unilever, avait clairement mis en garde contre les conséquences probables de cette actualité politique: "Quiconque importe des marchandises venues d'Europe - matières premières comme produits finis - devra traduire ces hausses de prix, parce qu'il n'est tout simplement pas pensable de perdre en profitabilité au risque de la faillite. [...] Le Brexit n'est pas seul à décider des prix. Mais si votre devise enregistre une perte de valeur de 15% face à l'euro, vous vous retrouvez forcément face à un niveau de coûts de base supérieur. Nous devons examiner catégorie par catégorie. Les produits importés sont plus susceptibles d'être sujets à des hausses que ceux produits localement, tout dépend du mix des ingrédients qui les composent. Avant le Brexit, j'avais dit que dans le cas d'une marque telle que Ben & Jerry's, les prix grimperaient. Désormais, nous y voilà, la livre a perdu 15%. Allons-nous vendre à perte au Royaume-Uni? Plus que probablement non. Quelqu'un devra bien supporter les coûts de ce Brexit. Et ce n'est pas rien."
Côté distributeurs, on soupçonne Unilever de tirer prétexte du Brexit pour pratiquer des hausses de prix que les retailers ne sont pas en mesure d'absorber dans un contexte hautement concurrentiel où les enseignes de discount (et en particulier Aldi) progressent à grands pas. Rien n'interdit de penser que la crise entre Unilever et Tesco puisse s'étendre à d'autres fournisseurs et d'autres enseignes. Le détail piquant est que l'actuel CEO de Tesco, Dave Lewis, était encore voici deux ans président de la division personal care... d'Unilever !
Si les hausses de tarifs revendiquées par les fournisseurs seront manifestement vigoureusement contestées par les distributeurs, la fédération de ceux-ci, le British Retail Consortium (BRC), n'en a pas moins reconnu que la dépréciation de livre risquait de renchérir leurs prix d'achat.
Dave Lewis, CEO de Tesco depuis 2 ans, dirigeait auparavant la division personal care... d'Unilever !
L'industrie agro-alimentaire en proie au doute
Ce conflit intervient au moment où l'industrie agro-alimentaire britannique est en proie au doute. Une enquête interne de la FDF (l'équivalent britannique de Fevia) montre que 69,5% de ses membres sont très préoccupés par les conséquences du référendum et affichent une confiance en baisse. Les producteurs qui emploient dans leurs équipes du personnel étranger venu d'autres états de l'Union s'inquiètent également du fait que dans une entreprise sur douze, ces collaborateurs étrangers envisagent dès à présent de quitter le sol britannique. Il s'agit souvent de ressortissants de l'Europe de l'est, qui assurent 130.000 jobs parmi une main d'oeuvre globale de 400.000 personnes.