LONGREAD Le prince du Carnaval va-t-il conquérir le secteur du retail belge ?
- Frits van Eerd : flamboyant, mais intelligent
- Autrefois prince du Carnaval dans son village natal, il est aujourd'hui CEO du deuxième plus grand supermarché hollandais
Il vit à cent à l'heure, à la fois comme CEO de Jumbo et comme pilote de course. Cette semaine, la chaîne de supermarchés de Frits van Eerd fait son entrée sur le marché belge. Qui est l'homme qui veut secouer le secteur belge du retail ?
Le 6 novembre 2019 est le jour J pour Jumbo, qui ouvre les portes de son nouveau magasin à Pelt. Une véritable fête à l’occasion de laquelle le grand patron chantera peut-être même une chanson. C’est le genre de chose que Frits van Eerd aime faire. Il a déjà une petite idée derrière la tête mais il n'a encore rien décidé, a-t-il confié au magazine néerlandais De Ondernemer. « J'ai peur que beaucoup de gens de l'entreprise commencent à s'inquiéter. Ce Frits van Eerd, c'est le CEO de Jumbo ou un artiste ? » Le terme « flamboyant » est idéal pour décrire un entrepreneur qui sort du lot. Il va d’ailleurs à ravir à Frits van Eerd. Autrefois prince du Carnaval dans son village natal de Veghel, il a également connu un certain succès avec le groupe de musique Gebroeders Ko, qui est même entré dans le top 40 néerlandais. Devenu par la suite pilote de course, il a surtout transformé Jumbo. Il a fait évoluer la chaîne de supermarchés du statut de grossiste poussiéreux à celui de la deuxième plus grande chaîne de supermarchés aux Pays-Bas. Un exploit audacieux qui lui a valu une image prestigieuse aux Pays-Bas. Frits van Eerd déborde, à ce titre, d’énergie et de bonne humeur. En effet, l’ouverture d’un magasin va toujours de pair avec les confettis, la musique et les ballons jaunes, couleur emblématique de l’enseigne. Frits est avant tout un CEO intelligent qui sait très bien ce qu’il fait… En Belgique également.
Frits van Eerd est l’audacieux patron de Jumbo qui a développé avec succès la chaîne et s’appuyant sur une politique : les prix bas. Il connait très bien la manière de développer un supermarché et connait la manière dont il faut réagir face au consommateur. Les Néerlandais préfèrent Jumbo à d’autres magasins, observation devenu évidente après le rachat des quinze magasins Super de Boer. Après le rachat, le chiffre d’affaires de Jumbo a augmenté de… 45% ! Selon les propos de Van Eerd, "Jumbo propose les prix d’Aldi avec le service d’Albert Heijn". Avant l’acquisition de l’enseigne Super de Boer, le flamboyant patron avait déjà opéré le rachat des 12 magasins Konmar. D’autres suivront : les supermarchés C1000 et Emté cette année.
« La troisième génération est généralement là pour démolir la tente mais ce n’est pas le cas avec Jumbo », a-t-il expliqué dans le magazine néerlandais Quote. Il menait déjà sa propre affaire à 21 ans mais s’est vite heurté aux limites du statu d'indépendant : il ne pouvait pas grandir. « Les petites entreprises ne deviennent presque jamais grandes, cela reste souvent une affaire personnelle. » C’est alors qu’il demande à son père de pouvoir rejoindre l’entreprise familiale. « Si tu possèdes un supermarché, les clients font la queue pour payer. Si tu gères une entreprise dans le domaine industriel, où peut-on faire la file pour payer ? Nulle part. Les clients reviennent chaque semaine pour faire leurs courses. »
Il a confié au magazine Quote avoir vite compris qu'il fallait adopter une approche différente de la façon dont ses parents considéraient le métier de grossiste. « Après 75 as d’activité dans la vente en gros, j’ai voulu développer mon propre magasin en 1996. La légende dit que le grossiste gagne de l’argent et que les supermarchés coûtent de l’argent. Je trouve cette formule inappropriée. Pourquoi vouloir rester un intermédiaire entre un producteur et une chaîne de magasins ? C’est une position bizarre car la chaîne de supermarché estime par définition vouloir payer moins cher et le producteur estime en vouloir un peu plus. Mon père ne m’a donc pas empêché de tenter l’aventure. Nous avons construit cette entreprise à titre expérimental. »
La garantie du prix le plus bas, qui a fait la réputation de Jumbo, n'arrive en réalité pas – officiellement - en Belgique : la chaîne dit ne pas vouloir concurrencer Colruyt. "Il faut connaître sa place." Cette déclaration fait-elle preuve d’une certaine modestie hollandaise ou est-ce une façon de jeter de la poudre aux yeux aux acteurs du marché belge ? Le changement s'opèrera dans les mois à venir. Dans la presse, Jumbo est souvent présenté comme le grand challenger de Colruyt, mais la question est surtout de savoir si tel est bien le cas. Colruyt est une marque forte en Belgique : elle a une identité claire et est fortement ancrée sur le marché flamand. La démarche la plus judicieuse serait plutôt de concurrencer les supermarchés avec une identité moins forte. C’est sans doute pour cette raison que Peter Isaac, le PDG de Jumbo Belgium, a déclaré dans une interview réalisée par Gondola « qu’il ne souhaiterait pas déclencher une guerre des prix. » Mais Van Eerd est rusé et dit parfois le contraire de ce qu’il pense.
La carrière de Frits van Eerd semble cruciale pour contenter sa préférence pour les voitures rapides. Le jeune van Eerd a toujours rêvé d’embrasser une carrière de pilote de course. Ses parents n’aimaient pas cela, raison pour laquelle il s’est lancé dans les affaires. Il ne l’a jamais nié : son objectif était de pouvoir gagner de l’argent pour assouvir sa passion. Il possède d’ailleurs une collection de voitures anciennes, a participé cinq fois au Rallye Paris-Dakar et fut champion de Rallye en 2006. « Sans le sport automobile, je ne serais sans doute jamais devenu entrepreneur prospère », a expliqué Frits van Eerd à De Ondernemer. « Sans cela, je n’aurais jamais appris à chercher jusqu’où on peut aller pour réussir. Vous pouvez forcer le profit. Si vous ne dites pas à tout le monde : je dois, je ferai et je gagnerai, vous n’aurez aucune chance. »