L’on en a abondamment parlé dans la presse, le gouvernement fédéral est parvenu le 10 octobre dernier à un accord global relativement au virage fiscal (ou tax shift) annoncé lors de la présentation des budgets 2015 et 2016. Notons qu’à ce stade, le projet n’a pas encore fait l’objet de l’entièreté de la procédure législative. Les mesures présentées ci-dessous sont donc susceptibles d’être encore modifiées avant leur entrée en vigueur.
Globalement, l’objectif du gouvernement est de promouvoir une série de mesures censées alléger la pression fiscale sur le travail en diminuant l’impôt sur le revenu, et en augmentant en parallèle d’autres impôts (d’où la notion de « virage » fiscal), ceci devant permettre de créer des emplois et de renforcer la compétitivité des entreprises.
Nous nous limiterons dans le cadre du présent article aux mesures visant à augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs (c’est-à-dire des acheteurs potentiels), et à doper la compétitivité des entreprises. Sans trop entrer dans les détails, les nouvelles mesures peuvent être résumées comme suit :
Au niveau du pouvoir d’achat, l’objectif est d’améliorer le salaire net de toutes les catégories de salaires (avec un accent sur les bas et moyens salaires), et ce par une combinaison de 4 mesures :
- Augmentation du forfait de frais professionnels,
- Augmentation du minimum non imposable,
- Augmentation du bonus à l’emploi,
- Suppression de la tranche imposée à 30% (en 2 phases : 2016 et 2018) et hausse du plancher de la tranche imposée à 45%.
Afin d’estimer l’impact de ces nouvelles mesures pour le contribuable belge, nous avons fait usage du calculateur développé par le SPF Finances (www.montaxshift.be ou www.mijntaxshift.be) dans 4 scenarios différents (salaire brut annuel de 25.000 EUR (scenario 1), 50.000 EUR (scenario 2), 75.000 EUR (scenario 3) et 125.000 EUR (scenario 4)), en tenant compte de trois différentes situations familiales (contribuable marié, conjoint ne travaillant pas et 2 enfants à charge (cas 1) ; contribuable célibataire et sans enfants à charge (cas 2) et contribuable marié, conjoint disposant de revenus professionnels, et 2 enfants à charge (cas 3)) et ce à l’horizon 2015 et à l’horizon 2020. Nos conclusions font état d’une baisse de la charge d’impôt annuelle de l’ordre de 300 EUR (soit 25 EUR par mois) pour les plus bas salaires à 72 EUR (soit 6 EUR par mois) pour les plus hauts salaires en 2015, et de 1.632 EUR (soit 136 EUR par mois) à 888 EUR (soit 74 EUR par mois) en 2020.
Nous avons également procédé à un classement de la Belgique au sein de 19 pays européens (dont nos voisins immédiats la France, les Pays-Bas, le Luxembourg et l’Allemagne) pour déterminer, à salaire brut égal, et dans les 15 situations répertoriées ci-dessus, quel était le positionnement de la Belgique en termes de salaire net pour les employés. Notre conclusion initiale à cet égard est que, à l’exception des plus bas salaires (scenario 1), les employés belges sont régulièrement moins bien positionnés que la plupart des autres employés européens, et ce d’autant plus que les salaires sont élevés.
Nous avons ensuite comparé ce classement avec le positionnement qu’atteindrait la Belgique si toutes les mesures du tax shift étaient effectivement mises en œuvre jusqu’en 2020. Il s’avère que, à l’horizon 2015, l’impact du tax shift est en réalité extrêmement limité sur le positionnement de la Belgique dans ce classement européen. En effet, si l’on considère le salaire brut le moins élevé (25.000 EUR), la Belgique passe de la 5ème à la 4ème position dans le premier cas ; de la 16ème à la 14ème position dans le second cas ; et de la 13ème à la 12ème position dans le troisième cas. Dans tous les scénarios où le salaire brut dépasse 25.000 EUR, l’application des mesures du tax shift n’a aucun impact sur le classement de la Belgique (qui plafonne dans le top 3 des pays où les employés ont le moins de salaire net au départ du même salaire brut).
Si l’on se penche sur la situation à l’horizon 2020 en revanche, l’on peut constater que le classement de la Belgique s’améliore substantiellement en termes de revenus nets pour les employés dans le scénario des plus bas revenus (25.000 EUR brut annuels). Dans les scénarios 2 et 3 (revenus annuels bruts de 50.000 EUR et 75.000 EUR), la Belgique gagne quelques places dans le classement, mais dans le scenario 4 (revenus annuels bruts de 125.000 EUR), le classement de la Belgique n’est absolument pas impacté. Ceci apparaît du graphique ci-dessous, qui indique le classement de la Belgique à travers les différents scenarios à l’horizon 2015 et 2020 (en abscisse, les différents scénarios et cas, et en ordonnée le classement des pays sur 19, la position 1 étant le pays où les employés ont les revenus nets les plus élevés, la position 19 étant le pays où les employés ont les revenus nets les moins élevés).
La conclusion de cette analyse est que, à l’heure actuelle, et à salaire brut égal, les employés belges sont particulièrement mal lotis en termes de revenu net, puisque, à l’exception des plus bas revenus, ils perçoivent moins de salaire net que la plupart de leurs voisins européens. L’application du tax shift permet d’améliorer ce classement, mais exclusivement pour les plus bas revenus, et à la condition, bien entendu, que les mesures prévues dans le cadre du tax shift s’appliquent comme prévu jusqu’en 2019.
Il est à noter toutefois que, si l’on considère non plus le revenu net, mais le revenu disponible, compte tenu des allocations familiales, du coût de la vie, et du coût du logement, la situation des employés belges est sensiblement plus avantageuse. Ceci est toutefois totalement indépendant des mesures prises dans le cadre du tax shift.
Au niveau de la compétitivité des entreprises, l’objectif est de diminuer les contributions de sécurité sociale dues par l’employeur qui peuvent à l’heure actuelle être estimée à 32% jusqu’à 25% à l’horizon 2019, avec un focus à nouveau sur les bas revenus. Le tableau ci-dessous donne un aperçu de l’évolution des taux de cotisations, tenant compte du niveau des revenus bruts, à l’horizon 2015, 2016, 2018 et 2019 (en abscisse l’évolution dans le temps et en ordonnée le taux de base des cotisations sociales) :
Nous avons à nouveau procédé à un classement de la Belgique, en nous plaçant du côté des employeurs cette fois, pour déterminer la position de la Belgique en termes de coût pour l’employeur au sein des autres pays européens (toujours à salaire brut égal), et ce en considérant la situation actuelle, et la situation en 2019 avec application des mesures inclues dans le tax shift.
Il s’avère que, si le tax shift permet d’améliorer la compétitivité de la Belgique lorsqu’il est question de bas revenus, notre pays demeure parmi les pays où le coût pour l’employeur est le plus élevé dès que le salaire brut dépasse 50.000 EUR annuel.
En effet, la Belgique gagne 9 places dans le scenario 1 (revenus brut annuel de 25.000 EUR), puisqu’elle passe du 4ème pays le plus cher au 13ème pays le plus cher sur 19 en 2019. Dans le second scénario (salaire brut de 50.000 EUR), la Belgique passe de la 5ème à la 9ème position ; dans le troisième scenario (salaire brut de 75.000 EUR), la Belgique gagne 3 places et passe de la 4ème à la 7ème position. Enfin, dans le quatrième scenario, la Belgique ne gagne que 2 sièges, passant de la 2ème à la 4ème position.
Le tableau ci-dessous illustre l’économie, réalisée par l’employeur entre 2016 et 2019 (en abscisse l’évolution au cours du temps, et en ordonnée le pourcentage économisé) :
En conclusion, bien que la diminution des taux de base de sécurité sociale a effectivement un impact sur le classement de la Belgique en termes de coûts pour l’employeur, cet impact n’est substantiel que pour les bas salaires. Pour les salaires plus élevés (à partir d’un salaire brut annuel de 50.000 EUR), la Belgique reste parmi les pays européens les plus chers pour l’employeur.
Nous vous invitons pour de plus amples détails à ce sujet à prendre connaissance de notre étude européenne sur les salaires publiée le 5 décembre 2015.
Ecrit par: Guillaume Deschamps, Deloitte