Un titre de presse, même online, doit-il réagir au quart de tour à tout, y compris la moindre rumeur? Non, avions-nous décidé cette semaine chez Gondola, quand fleurirent un peu partout de gros titres évoquant l'hypothèse d'un rachat du Groupe Carrefour par Amazon. Au risque de surprendre nos lecteurs, peut-être étonnés de ne pas nous voir relayer la (presque) annonce d'un tel mega-scénario. Or ce scénario, nous n'y croyons pas un instant. Peut-être à tort, et sans émettre de jugement sur ceux qui le tiennent pour probable. Voici pourquoi.
Pas de nouvelle sans source. Celle qui a allumé la mèche de cette rumeur, on la trouve dans l'hebdomadaire français Valeurs Actuelles, à la ligne éditoriale très conservatrice. "Rachat de Carrefour par Amazon: la rumeur du siècle", annonce le titre de l'article. Pourquoi pas? Mais une rumeur, même superlative, ne constitue pas un fait, qu'il soit du siècle, de l'année, ou même en l'occurrence de la semaine. On apprend dans cet article, que ce sont "les milieux boursiers" qui s'échauffent sur cette hypothèse. Mais quand un membre de cette corporation témoigne, c'est pour aligner une série de spéculations, déductions hasardeuses, ou formules à deux balles, du genre "Les grands distributeurs ont détruit le petit commerce en France. Maintenant, c’est Amazon qui va les tuer." Puisque Amazon a racheté Whole Foods, il pourrait bien racheter Carrefour, se convainquent les mêmes "milieux boursiers", par un raccourci assez audacieux. Quoi de commun entre une enseigne anglo-saxonne positionnée sur un segment très précis, et un géant international exploitant des formats multiples sur des marchés très différents? Quelle complémentarité y aurait-il? Tout, à commencer par le métier très particulier du commerce, et ses contraintes si spécifiques, n'est pas soluble dans le digital par un coup de baguette magique.
Mais le véritable argument de ces analystes (?) financiers est ailleurs. Si Amazon risque de racheter Carrefour, c'est tout simplement qu'ils peuvent se le permettre, avec leur capitalisation boursière de 394 milliards d'euros, face aux 13 milliards actuels du Groupe Carrefour. Et puis, ajoutent-ils, 13 milliards, c'est pas cher, compte tenu de la dépréciation qu'a connu le titre du groupe français, à 17 euros. On n'est toutefois pas certain que tous les actionnaires d'Amazon accepteraient avec un tel enthousiasme une si menue dépense, pour s'approprier une entreprise d'une taille sans commune nature avec celle de Whole Foods, et sans garantie quelconque que ce débarquement en terre inconnue ne révèle plus de défis que de convergences. On est tout aussi sceptique sur l'intérêt qu'auraient à vendre à ce prix des actionnaires de référence de Carrefour tels que Bernard Arnauld, dont il se dit qu'il n'envisagerait pas de valoriser ses titres en-dessous de trente euros.
Le reste du papier de Valeurs Actuelles est plutôt bien construit et documenté sur les développements récents de la stratégie d'Amazon. Mais rien ici ne vient réellement appuyer pour autant cette fameuse rumeur, sinon des raisonnements purement spéculatifs ou des "cela aurait un sens". La rumeur Amazon-Carrefour est d'ailleurs tellement en béton que d'autres analystes, partant des mêmes prémices, penchent pour leur part pour une forme d'alliance - et non un rachat - entre Carrefour et Google. "Ce serait une option crédible", disent-ils: admirez la certitude du propos.
En ce qui nous concerne, nous retiendrons un fait, irréfutable celui-là: alimenté par ces rumeurs, le titre de Carrefour a progressé hier de 3,45%. Dire que ce mouvement n'est sans doute pas perdu pour tout le monde n'est pas une analyse rigoureuse. Mais c'est, pour reprendre la formule, une option crédible...