Un vaste scandale de l’eau éclabousse Nestlé et d’autres industriels
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Perrier, Vittel, Hépar, Contrex, Cristalline, Saint-Yorre… Pendant des années, Nestlé et d’autres industriels ont appliqué à leurs eaux en bouteille des traitements de décontamination interdits en France. Des millions de consommateurs auraient ainsi été trompés, dénonce l’ONG Foodwatch, qui entend porter plainte.
Nestlé Waters (Perrier, Vittel, Hépar, Contrex…), Sources Alma (Cristalline, Saint-Yorre…) et d'autres industriels du secteur auraient utilisé et dissimulé pendant des années l’utilisation de traitements illégaux afin de purifier leurs eaux minérales, rapportent les médias français cette semaine. Ainsi, le géant suisse aurait eu recours à des systèmes tels que des filtres à charbon ou des filtres UV afin d’assurer la sécurité sanitaire de ses eaux, des méthodes autorisées pour l’eau du robinet mais totalement interdites dans le cas des eaux de source et des eaux minérales censées être naturellement pures (et qui sont vendues comme tel). Peut-être encore plus inquiétant, Nestlé aurait mis en place divers subterfuges afin de tromper la vigilance des contrôles effectués par les autorités, selon une enquête menée par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Quant au groupe Sources Alma, il aurait non seulement appliqué à ses eaux une microfiltration inférieure aux seuils autorisés, mais également procédé à des injections de sulfate de fer et de CO2 industriels. L’entreprise aurait même mélangé certaines de ses eaux avec… de l’eau du robinet, d'après la cellule investigation de Radio France et le journal Le Monde.
Auprès du quotidien économique français Les Echos, Nestlé Waters a reconnu avoir recouru à des traitements interdits d'ultraviolets et de filtres au charbon actif sur certaines de ses eaux minérales, et ce, afin de garantir leur sécurité alimentaire. L’entreprise a également affirmé avoir informé les autorités françaises à ce sujet dès 2021. Selon Radio France, qui enquêtait sur cette affaire depuis plusieurs mois, le mea culpa du minéralier serait toutefois davantage une opération de communication qu’une réelle volonté de montrer pattes blanches. « Nestlé a feint de jouer le jeu de la transparence médiatique parce qu’elle savait, à travers les questions que nous lui avions envoyées, que Le Monde et la cellule investigation de Radio France s’apprêtaient à publier une enquête embarrassante révélant la nature de ses pratiques. » Dans la foulée de ces révélations, une enquête préliminaire a été lancée contre Nestlé Waters par le parquet d'Épinal (Vosges).
« De scandale en scandale, l'histoire se répète »
« Si ces révélations sont vérifiées, des millions de consommateurs et consommatrices, qui n’ont jamais été informé·es de ces pratiques, auront été trompé·es », déplore l’organisation de défense des consommateurs Foodwatch sur son site Internet. « L’eau minérale en bouteille, cet or bleu vendu à prix d’or, s’achète en effet bien plus cher que l’eau qui coule du robinet pour ses vertus et sa qualité. Or, il semble que des entreprises aient préféré contourner la loi pour continuer à écouler leurs produits », dénonce l’ONG, qui entend porter plainte pour tromperie. « De scandale en scandale, l'histoire se répète : opacité pour les consommateurs et consommatrices trompé·es sur la qualité substantielle du produit, manque de traçabilité et de contrôles, absence de sanctions, sous-effectifs criants au sein des organismes de contrôle publics. Transparence des informations et renforcement de la réglementation sont nécessaires pour briser l'omerta et l'impunité qui règnent dans le secteur de l'agroalimentaire », plaide également l'organisation.
Des eaux sûres ?
Selon Nestlé Waters, l’ensemble des systèmes de traitement illégaux auraient depuis lors été démantelés et toutes ses eaux seraient à présent conformes au cadre réglementaire en vigueur en France. Pour ce faire, tout en préservant un niveau de sécurité alimentaire suffisant, le groupe a notamment procédé à la fermeture de plusieurs de ses puits qui posaient un problème sanitaire, tandis que d’autres ont été alloués à des produits non-soumis aux mêmes réglementations que les eaux minérales, comme des eaux aromatisées. Mais paradoxalement, le retrait des méthodes de décontamination pourrait-il avoir pour effet d’augmenter le risque sanitaire pour les consommateurs, s’interroge Radio France. Selon les inspecteurs de l’Inspection générale des affaires sociales interrogés par le média français, « le niveau de conformité est élevé sur les eaux en bouteille (mais) il ne serait pas prudent de conclure à la parfaite maitrise du risque sanitaire, notamment du risque microbiologique », l’IGAS soulignant que si de tels systèmes de traitement ont été mis en place, c’était pour « pallier un défaut de qualité de la ressource ». Car comme le rappelle la radio française sur son site, les ressources aquifères exploitées par Nestlé sont régulièrement contaminées microbiologiquement, notamment par des bactéries de type Escherichia Coli, voire par des polluants chimiques. Ce à quoi Nestlé Waters a rétorqué que « l’évolution des conditions climatiques et environnementales, avec la multiplication d’évènements extrêmes, à l’instar de sécheresses ou d’inondations, combinés à l’expansion des activités humaines autour de nos sites, rendent très difficile le maintien de la stabilité des caractéristiques essentielles d’une eau minérale naturelle », l’entreprise justifiant au passage le maintien de dispositifs de microfiltration « compatibles avec le cadre réglementaire ».
Vers un scandale politique ?
Enfin, il n’est par ailleurs pas exclu que ce scandale de l’eau se mue en scandale politique chez nos voisins. S’il semble acquis que l’État français était au courant des pratiques de Nestlé depuis 2021 et qu’il a diligenté plusieurs enquêtes depuis lors, le fait que ni la justice ni le grand public n’ait été mis au courant pose question. Le fait qu’au beau milieu de cette discrète saga, Nestlé aurait sollicité et obtenu une évolution en sa faveur de la réglementation sur la microfiltration est également interpellant. Enfin, selon l'enquête administrative de l’IGAS, entamée en octobre 2021 et dont les conclusions ont été transmises au gouvernement français en juillet 2022, ce ne serait pas moins de 30% des marques d'eau en bouteille qui ne seraient pas conformes à la réglementation en vigueur en France, un niveau de non-conformité qui pourrait même en réalité se révéler bien supérieur. Un constat une fois de plus interpellant et pourtant jamais rendu public…