Patatras ! Le fragile édifice de l’accord intervenu en août entre les acteurs de la filière porcine vient de s’écrouler. Et, comme l’explique parfaitement Dominique Michel, le CEO de Comeos, dans le communiqué transmis aujourd’hui par son organisation, ce n’est pas faute de bonne volonté de la part des distributeurs, mais à cause d’un véritable “péché originel” logé dans les termes mêmes de cet accord, qui le rend tout simplement illégal.
Toutes les parties autour de la table ont bien dû reconnaître que les objections formulées par l’Autorité de la concurrence étaient fondées. Et on ajoutera que le principe d’une prime versée par les distributeurs (et indirectement les consommateurs) belges risque de faire froncer les sourcils du côté de l’Europe. Accepter de payer volontairement plus cher la viande qu’on vend effectivement dans ses magasins par solidarité avec les éleveurs est une chose. Payer un montant forfaitaire par animal présent dans les élevages en est une autre: l’écrasante majorité de ces porcs sont destinés au marché de l’export. Ce serait en réalité faire financer par la consommation intérieure la compétitivité des prix pratiqués à l’export par la filière porcine belge, et il y a tout lieu de penser que ceci pourrait être décrit comme une distorsion de concurrence à l’échelle européenne.
Retour à la case départ, donc, pour la filière du porc en tout cas. Les termes du problème que nous décrivions dans l’article principal de notre magazine de septembre dernier restent entiers. Rien dans la situation du marché n’a changé depuis août, le prix au kilo a même encore baissé d’environ 15 cents. Cette filière ne pourra pas faire l’économie d’une douloureuse révision de ses orientations. Ou bien elle choisira la voie d’une production raisonnée et d’une valeur ajoutée justifiant un prix de vente plus favorable, et elle trouvera certainement ici du répondant chez de nombreux acteurs de la distribution. Ou bien elle persévèrera dans une démarche productiviste tournée vers l’export, et devra alors en accepter les risques. Malheureusement terribles aujourd'hui pour les éleveurs. En attendant, et on le comprend, ceci fait certainement lever un vent de panique parmi les organisations représentatives du monde agricole. Ce qu’il leur est juridiquement impossible d’obtenir à partir d’un accord cadre, elles essayent de le sauver en rendant visite à chaque distributeur, à la faveur cette fois d’accords bilatéraux. Sauf que de tels accords seraient eux aussi parfaitement illégaux, et qu’il est exclu pour les distributeurs de conclure de telles ententes sur les prix !
C’est donc sur une base volontaire, et non contractuelle, que les trois principaux distributeurs du pays ont aussitôt fait savoir qu’ils ne renieraient pas leur parole, et accepteraient d’ajouter temporairement un montant de 10 cents au prix qu’ils payent pour chaque kilo de viande de porc qu’ils achètent aux producteurs. Mais cet effort solidaire et temporaire ne pourra pas signifier une mise sous perfusion de la filière, supportée exclusivement par le canal de la grande distribution. A terme, c’est sans conteste à travers leurs propres filières d’approvisionnement les plus vertueuses et qualitatives que les distributeurs voudront offrir une meilleure valorisation aux éleveurs capables de la justifier. Et cette contribution volontaire annoncée par les distributeurs offre quoi qu'il en soit aux éleveurs un ballon d'oxygène bien moins important que celui arraché en août, puisque son montant sera cette fois proportionnel aux volumes effectivement achetés par les distributeurs, et non plus calculé sur base du cheptel présent dans les élevages.
Dans l’immédiat, le secteur de l’élevage porcin belge se retrouve dans une position à nouveau très inconfortable. On espère que ceci ne conduira pas à poser le problème - réel - en des termes conduisant la population à croire que sa source tient à l’attitude de la grande distribution. Non seulement celle-ci est-elle la seule à malgré tout proposer aussitôt un effort de solidarité sur sa politique d’achat, mais le communiqué de Comeos nous offre aujourd’hui la possibilité de définir de façon rigoureuse le volume qu’elle pèse dans une filière de production massivement tournée vers l’export: 6,8 pourcent. Non, décidément, la grande distribution ne peut être tenue ni pour la cause, ni pour la solution d'un problème de taille.
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