Hyper-ludique ou hyper-rationnel? Deux projets commerciaux que tout oppose se préparent en France. 

Avez-vous entendu parler d'EuropaCity? C'est le projet pharaonique de centre commercial porté par le groupe Auchan (à travers sa filiale Immochan), et qui vise à bâtir au nord de Paris, sur le territoire de Gonesse (entre les aéroports de Roissy et du Bourget), un immense complexe couvrant 80 hectares, avec 230.000 m2 de commerces, 150.000 m2 d'espaces de loisirs, 2.700 chambres d'hôtel et 10 hectares de parc urbain.

Tout est ultra-large dans ce centre commercial d'un genre nouveau: le nombre de commerces (500 boutiques), mais aussi le nombre et la nature des activités proposées aux visiteurs: une piste de ski indoor, une salle de cirque de 2.500 places, des montagnes russes, un parc aquatique géant permettant entre autres la pratique du surf, un vaste espace accueillant des expositions, une "ferme urbaine"...

Autant dire que plus encore qu'un centre commercial, il s'agit d'une destination touristique à part entière. Ce n'est sans doute pas un hasard si le groupe chinois Wanda, propriétaire de parcs à thème et détenu par le roi de l'immobilier Wang Jianlin, a pris une participation de 49,9% dans le capital d'EuropaCity, un projet qui vise à attirer chaque année 30 millions de visiteurs. Soit le double de ceux qu'on compte aujourd'hui à Disneyland Paris !

Si c'est bien la filiale immobilière du groupe Auchan qui pilote ce projet, et non sa branche retail, il est malgré tout révélateur de voir un groupe spécialiste de l'hypermarché s'engager dans une telle course au gigantisme. Faut-il y voir une forme d'aveu que le groupe se pose des questions sur les modèles commerciaux classiques, et celui de l'hyper en particulier? A une pure destination shopping, il superposerait une destination loisirs. Auchan a récemment traversé des remous. La guerre des prix lancée par Casino en 2012 a fragilisé ses hypers. Après une profonde réorganisation, ceux-ci semblent retrouver en 2016 un peu de tonus.

  

Une vision qui suscite le débat

Mais l'étonnant projet EuropaCity révèle malgré tout une rupture de modèle commercial sans précédent. EuropaCity ambitionne d'ouvrir ses portes en 2024, après un chantier dont le coût est estimé à 3,1 milliards d'euros... si tout va bien. Car, outre les dépassements toujours possibles sur des projets d'une telle échelle, il lui faudra sans doute aussi franchir sans encombre les indispensables procédures d'autorisation. Si le projet Uplace, à Vilvorde, reste un feuilleton à nombreux rebondissements, et qui déclenche les passions jusqu'à l'échelon politique, on peut s'attendre à une plus sérieuse bataille encore pour ce projet français. Appuyé par de nombreux ténors de la politique française, EuropaCity risque de rencontrer l'opposition d'associations d'habitants et d'agriculteurs, tout comme celle de commerçants parisiens craignant de voir leur chiffre d'affaires siphonné par ce complexe énorme. Du côté des leaders d'opinion, le projet ne fait pas non plus l'unanimité. La journaliste française Natacha Polony a récemment rédigé dans les colonnes du Figaro une tribune intitulée "Le zombie festif en son royaume", qui s'élève contre la vision de la société que représente ce projet pharaonique, en s'appuyant explicitement sur la moqueuse critique de "l' homo festivus" développée par l'essayiste Philippe Muray. Elle y regrette qu'on substitue aux dernières terres agricoles de la région un monstre qui, selon les termes d'Europacity " anticipe des formes possibles de rupture dans nos modes de vivre ", et où les badauds " viendront dépenser l'argent qu'ils n'ont pas et se pâmer devant ce qu'ils auront pu voir à Dubaï ou n'importe où ailleurs. "

 

Pendant ce temps, Costco avance...

Au même moment, l'américain Costco travaille d'arrache-pied à l'inauguration de son premier magasin français, qui ouvrira ses portes au printemps prochain à Villebon-sur-Yvette, dans la périphérie sud de Paris. Un projet qui effraie manifestement les grandes enseignes françaises, puisque Auchan, Intermarché et Cora ont introduit (sans grand succès) des recours contre ce projet accusé de sursaturer l'offre commerciale locale.

Costco, c'est l'anti-EuropaCity. Ici, on fait strictement du commerce, selon un modèle original. Des magasins énormes (12.000 m2) qui n'accueillent pourtant qu'un assortiment limité à 3.500 références stables et 500 produits en offre temporaire, présentés sous forme de spectaculaires massifications. Costco, c'est un peu la rencontre entre la jauge d'un hyper et la radicale simplicité d'un discounter comprimant les frais de fonctionnement. Véritable magasin-entrepôt, Costco vend sur palettes et se passe de réassorts réguliers. Enfin, l'originalité de la formule est l'obligation pour tout client de disposer d'une carte de membre pour y faire ses achats. Un principe différent de celui pratiqué chez Makro: le client paie chaque année année à Costco une cotisation forfaitaire (en Espagne, elle s'élève à 36€) qui lui donne accès aux magasins où l'enseigne s'engage en échange à ne pas prélever de marge supérieure à 14% sur les articles proposés à la vente.

Costco à l'assaut de l'Europe continentale

Le modèle de Costco s'est avéré être redoutablement adapté au marché nord-américain. Fondée en 1983, l'enseigne compte désormais plus de 500 magasins-entrepôts aux Etats-Unis. Elle s'est exportée vers le Canada, le Mexique, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, le Royaume-Uni et l'Australie, ce qui porte son parc à 715 entrepôts. L'enseigne a aussi chipé voici deux ans à Carrefour le titre de N°2 de la distribution mondiale (derrière Wal-Mart) avec un chiffre d'affaires de 112,6 milliards de dollars (2014). L'appétit vient en mangeant: Costco s'attaque désormais à l'Europe continentale. Ce qui reste un pari. C'est d'abord en Espagne que Costco a ouvert deux magasins en 2014 et 2015. Si l'enseigne a rapidement recruté de nombreux membres espagnols, le chiffre d'affaires y serait encore inférieur à la norme du groupe (environ 75 millions d'euros/magasin/an). On attend donc avec curiosité l'ouverture du premier Costco sur les terres historiques de l'hyper à la française. Et l'on se demande déjà qui, d'EuropaCity ou de Costco, aborde la question du commerce de façon la plus pertinente...   

Découvrez la vidéo postée par Costco France sur son site: http://www.costco.fr/videos/presentation-costco-france.mp4