Interview François-Melchior de Polignac (Carrefour) : "Un vaste mouvement vers la customer centricity"
On ne chôme pas chez Carrefour Belgium: le distributeur vient coup sur coup de faire évoluer les concepts de ses enseignes express et market, avant de révéler à Zemst une interprétation spécifique de son modèle d'hypermarché. Tout aussi récemment, Carrefour a ouvert son webshop non-alimentaire et donné un gros coup d'accélérateur à son réseau de points de collecte pour le drive. L'occasion était belle de recueillir les commentaires du Directeur général de Carrefour Belgique. Qu'est-ce qui fait courir son entreprise, en 2017?
En l’espace de quelques semaines, vous avez révélé de nouvelles évolutions pour Express, Market et enfin l’hypermarché. Ce n’est pas courant...
Nous sommes toujours en évolution, et chacun de nos formats de magasins a pour vocation de se réinventer. L’hypermarché est en mouvement et celui-ci ne va pas s’arrêter. Après Mons, puis Coxyde, vous venez de découvrir à Zemst une exécution plus « intimiste » de notre concept. La constante, c’est que ces hypermarchés se livrent à une valorisation des métiers: place à l’humain, au plaisir relationnel !
S’agissant de Market, le concept apparu à Wetteren voici 3 ans et demi a représenté une étape importante. Depuis lors, chaque magasin qui ouvre ou se transforme déplace de petites frontières. Il y a certes un élément nouveau dans la partition : notre volonté de faire chanter le sec comme nous avions déjà fait chanter le frais. Mais chaque magasin a aussi une identité propre qui nous amène à nous interroger sur sa spécificité, et sur ce qui mérite d’être adapté dans le concept pour y coller de façon fidèle. Si vous visitez à Uccle le magasin « Molière », vous constaterez par exemple qu’il est optimisé pour parler à sa clientèle locale, parmi laquelle on trouve nombre d’expatriés Français.
De façon transversale, quels sont les éléments communs à la stratégie de Carrefour en Belgique ?
Je vous répondrai en identifiant quatre niveaux, quatre axes majeurs.
Le premier est celui de l’innovation en tant que telle. C’est ce que nous mettons par exemple en pratique avec la livraison à domicile via la plateforme Bringr. Ou avec l’offre toute aussi innovante que représente l’apparition de la Simply You Box, qui apporte à nos clients à la fois gain de temps et inspiration. Les retours de la clientèle sont d’ailleurs éloquents : ils confirment que la Simply You Box leur permet de manger de façon plus variée et qualitative que s’ils avaient été contraints d’acheter séparément eux-mêmes tous les ingrédients. Enfin, l’innovation, c’est aussi le récent développement de notre webshop non-alimentaire, qui ne se contente pas de dupliquer l’assortiment présent en magasin, mais y ajoute des références exclusives.
Le deuxième niveau, c’est celui que nous avons déjà évoqué en début d’entretien, celui des concepts de magasins. Ils continuent en effet d’évoluer sans cesse, sur tous les formats et tous les réseaux.
Troisième axe : celui de ce qu’on pourra regrouper sous l’étiquette de tout ce que le consommateur considère comme « bon pour lui ». On y rangera entre autres les produits locaux, une démarche dans laquelle cette entreprise est pleinement investie. Si vous abordez ce volet suivant une pure logique comptable ou de simplicité des process, c’est un choix qui ne va pas de soi. Mais il fait du sens. Aujourd’hui, nous collaborons avec 850 producteurs locaux, dont nous vendons 10.000 produits. Et le point clef, c’est que nous le faisons à travers une démarche authentique et sincère.
Dans cette grande tendance au « bon pour moi », il n’y a pas que le local. Il y a le bio, et tous les produits « sans » : sans lactose, sans gluten... Si vous observez nos implantations, vous constaterez que nous avons offert à ces univers une importante visibilité.
On en arrive au quatrième axe majeur...
C’est aussi le plus important. C’est celui qui place l’humain au cœur de notre métier. Bien sûr, la livraison par drones ou la présence de robots en points de vente, c’est une perspective qui fascine. Mais je reste convaincu que l’essence du métier qui est le nôtre tient dans le facteur humain, dans l’aspect relationnel.
Depuis un an ou un an et demi, nous nous sommes appliqués à travailler énormément, et à tous les niveaux de la hiérarchie, la notion de ‘customer centricity’, dont le but est évidemment d’atteindre la satisfaction du client. Tout le monde en parle dans cette entreprise, dans les magasins comme au siège.
Et c’est cette ambition qui a par exemple guidé l’évolution du concept express apparue au magasin ucclois Prince d’Orange, qui veut vivre dans le coeur et dans le quartier des gens. Cette dimension relationnelle est décisive, elle forme une valeur essentielle pour le commerce et va le rester.
Qu’est ce qui distingue aujourd’hui Carrefour dans son marché ?
Nous sommes le seul acteur du marché qui soit véritablement omnicanal, présent à tous moments et sur tout type de demande. C’est une position très différente de celle qu’occupent nos concurrents. Et elle nous inspire des choix et une discipline, comme celle qui veut que nous pratiquions sur le canal online les mêmes prix qu’en magasin. Nous laissons le client libre de ses choix, mais en veillant à ce qu’il trouve partout une réponse rapide et transparente à ses besoins.
Parlons un peu du marché, qui n’est pas euphorique, puisqu’il a ces derniers temps parfois même baissé en volume...
Le marché est aujourd’hui bien plus difficile à lire et appréhender, suite à la conjonction d’une série de facteurs. Parmi ceux-ci, il y a certainement l’augmentation des accises sur les boissons alcoolisées, qui exerce un impact sur le panier. Une partie du commerce physique s’est évadée à l’étranger, et il n’y a pas que l’alcool qui s’évapore dans ces cas-là, d’autres produits complémentaires en souffrent indirectement.
Ensuite, l’évolution du commerce en ligne nuit à la lisibilité du marché, parce que les ventes de ce canal ne sont pas pannelisées. Elles échappent donc à l’œil du radar. Le même raisonnement s’applique à certaines évolutions récentes du mode de consommation : les ventes des producteurs locaux ne sont par exemple elles non plus pas intégrées dans les données des grands pannels.
Comment jugez-vous l’activité spécifique de Carrefour sur ce marché ? Etes-vous un Directeur général satisfait ?
Je ne suis jamais satisfait de là où je suis ! Au-delà de la boutade, il y a une certitude : ce qui m’intéresse prioritairement, c’est la construction de la position concurrentielle de Carrefour Belgique. Et il y a de ce point de vue un critère sur lequel les résultats sont particulièrement positifs : c’est le parcours client. Nous évaluons la perception du client sur les différents métiers depuis 15 ans en hypermarchés, mais plus récemment aussi en supermarchés. Je ne peux que constater que les résultats de ces enquêtes pour 2016 sont les meilleurs jamais atteints.
Carrefour s’appuie aussi sur un vaste réseau de partenaires indépendants, via la franchise...
Absolument : la majorité des points de vente Carrefour sont exploités en franchise. C’est un atout, puisque ceci favorise un ancrage local naturel. Et ceci crée aussi des responsabilités, en particulier celle de développer et tester des concepts commerciaux. Une fois-ceux-ci éprouvés, ils vont être adoptés par nos partenaires franchisés. Et la dynamique est de ce point de vue plutôt bonne.
Y compris en termes de croissance organique ? Ne s’approche-t-on pas du point de saturation du marché ?
Il y a encore des zones de chalandise où notre enseigne n’est pas représentée. Par conséquent, non, les plans d’expansion ne mollissent pas !