Interview Jan Boone (CEO Lotus Bakeries) : “Pas à pas, nous sommes en train de conquérir le monde”
Présent sur les marchés américain et du Moyen-Orient, Lotus Bakeries peut s’enorgueillir d’une réussite que bien des entreprises belges lui envient. Alors que biscuits et pâte au spéculoos s’exportent avec succès partout dans le monde, le CEO Jan Boone entend aujourd’hui séduire le marché belge avec des ‘healthy snacks’. “Mais il n’est pas facile de changer les habitudes alimentaires” constate-t-il.
Situé à deux pas du centre de Lembeke, le bureau de Jan Boone est simple et fonctionnel. Si lors de son adolescence l’homme avait caressé le rêve de devenir footballeur pro, on sait aujourd’hui qu’il possède davantage de talent comme CEO ! Voilà en effet plusieurs années que Lotus Bakeries aligne des chiffres impressionnants que nombre d’entreprises belges lui envient. Jugez plutôt : l’an dernier, Lotus Bakeries a réalisé un chiffre d’affaires record de 507,2 millions d’euros, en progression de... 32% par rapport à l’année précédente ! Un résultat exceptionnel même s’il est imputable pour partie à des rachats. Cette année, pour pouvoir faire face à une demande qui ne cesse de croître, une nouvelle ligne de production a été inaugurée à Lembeke et il est d’ores et déjà acquis qu’une usine de fabrication de spéculoos ouvrira ses portes aux Etats-Unis en 2019. Quand nous le félicitons, Jan Boone se contente de sourire modestement. Il n’est pas du genre à céder à la flatterie. Stratégiquement disposées dans un coin de son bureau, on peut admirer les dernières acquisitions de Lotus Bakeries : Nākd et Trek, les snacks britanniques sans gluten que l’entreprise entend imposer sur le marché belge et, tout à côté, BEAR and Urban Fruit, des bonbons aux fruits et autres friandises pour les enfants. Sans sucres ajoutés précise Jan Boone. Eux aussi devraient séduire rapidement le marché belge. L’optimisme est de rigueur, mais il s’agit de bien préparer le lancement. L’attention toujours plus grande que le public porte à la santé ne facilite pas forcément le lancement d’un produit de ce type.
Ne jamais préjuger…
Le succès n’est jamais évident. Car c’est quand il semble acquis que tout peut s’écrouler. Nous l’avons nous-même expérimenté en tentant de commercialiser nos frangipanes en France. Vu le succès sur le marché belge, nous avions logiquement pensé que les consommateurs français allaient leur faire bon accueil. Malheureusement pour nous, l’expérience s’est avérée décevante. Pour une raison quelconque, les Français n’aiment pas cette petite pâtisserie. Nous n’avions rien vu venir. Ce genre d’expérience est très instructive.
Justement, quelles leçons en avez-vous tirées ?
Qu’il n’est pas facile de faire changer aux gens leurs habitudes alimentaires. Regardez ce qu’il en est des vôtres : elles ne sont pas très différentes de ce qu’elles étaient il y a dix ans. Il est très difficile de faire changer les gens. Pour les pâtisseries, les goûts sont souvent très affirmés et très spécifiques. Ce sont également des produits dont la durée de conservation est courte et pour lesquels il existe des différences d’une région à l’autre. Les goûts ne sont pas les mêmes en Belgique, en France ou aux Pays- Bas. Nous en tenons compte.
De quelle manière ?
Nous regardons quels produits se vendent bien sur chacun des marchés qui nous intéressent. Aux Pays-Bas par exemple, ce sont les pains d’épice Peijnenburg et Snelle Jelle. Il s’en vend 30 millions de kilos par an, pour seulement 4 millions de kilos en Belgique. Tout l’art est de ‘sentir’ les préférences du public. Au niveau mondial, nous misons sur un seul produit qui est présent sur tous les marchés : le spéculoos, sous forme de biscuits ou de pâte à tartiner. La recette est la même dans tous les pays, nous n’y changeons pas une virgule. Il ne sera jamais question de proposer de version ‘light’ !
Même si la tendance ‘santé’ est plus forte que jamais ?
Ne vous méprenez pas : je suis convaincu que nous devons absolument tenir compte de cette tendance. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui justifient l’intégration de ‘healthy snacks’ dans notre assortiment. Nos snacks aux fruits sont les produits qui ont le plus progressé. Mais les gens entendent continuer à se faire plaisir avec du véritable spéculoos. Ils n’attendent pas de nous que nous leur proposions une version édulcorée.
Une version ‘bio’ du spéculoos Lotus n’aurait selon vous aucune chance de succès ?
Je ne pense que non. Notamment parce qu’une version bio serait immanquablement un peu plus chère. Les gens achètent du spéculoos – biscuits ou pâte à tartiner – parce que son prix est abordable. En l’occurrence, le prix fait beaucoup. Ceci étant, je ne ferme pas définitivement la porte à un spéculoos bio. Tout dépendra des circonstances.
Le lancement de Madeleines contenant 30% moins de sucre s’est avéré être un flop. Comment l’expliquez-vous ?
C’est tout simplement que les consommateurs n’attendent pas de nous de produits light au goût un peu fade. Ils veulent se faire plaisir avec des biscuits et des pâtisseries qui possèdent un ‘vrai’ goût. Nous ne souhaitons pas toucher à nos recettes car ce serait toucher à notre identité. Par contre, nous pouvons proposer un packaging plus adapté à l’air du temps, c’est-à-dire des mini-frangipanes et des mini-spéculoos.
Les healthy snacks sont en train de réaliser une belle percée. Il semble que le marché belge offre encore de belles possibilités.
Oui, en raison de la plus grande attention dont bénéficie aujourd’hui l’aspect santé. C’est assurément une tendance importante, une ligne de rupture. Il est impossible d’évaluer la taille de ce marché, je n’ai malheureusement pas de boule de cristal, mais on constate que les ventes de snacks sains augmentent régulièrement. Les gens alternent volontiers snacks sains et pâtisseries ou biscuits. Les deux se complètent : ce n’est pas l’un ou l’autre mais l’un et l’autre. Mais comme le consommateur comprendrait mal que Lotus commercialise des healthy snacks, nous avons choisi de le faire sous une autre marque.
Ce qui explique le rachat des marques britanniques Trek et Nākd.
Exactement. L’avantage est que ces deux marques sont déjà très bien implantées sur leur marché domestique. C’est une condition sine qua non pour poursuivre notre développement à l’international. Nous pouvons nous reposer sur quelque chose de solide. On constate un peu partout le succès croissant des snacks sains, que ce soit aux Etats-Unis, aux Pays-Bas ou en Scandinavie. Sans préjuger de la réponse du consommateur, je pense que la Belgique suivra.
Certaines voix s’élèvent pour que l’on retire des rayons les biscuits avec des figurines de BD destinées à attirer les enfants. Qu’en pensez-vous ?
Le même débat a lieu en ce moment aux Pays- Bas. C’est un débat important parce qu’il en va de la santé de nos enfants. Il n’est évidemment pas bon de laisser un enfant ‘engloutir’ six ou sept biscuits tous les jours. Mais par ailleurs, il n’est pas non plus interdit de leur faire plaisir avec une friandise. Tout est une question d’équilibre. Il appartient aux parents de veiller à donner à leurs enfants une alimentation équilibrée. Faut-il pour autant retirer certains biscuits des rayons ? Je ne crois pas que cela fasse une grande différence.
Estimez-vous, en tant que fabricant de biscuits, de gaufres et de pâtisseries, avoir une responsabilité sur le plan de la santé du consommateur ?
Je pense que les consommateurs attachent aujourd’hui une grande importance à la transparence : ‘quels ingrédients les produits que j’achète contiennent-ils ?’. Nous en tenons évidemment compte, notamment en indiquant clairement la valeur calorique de nos produits. Pas question pour nous de sous-estimer le consommateur. Il est tout à fait capable d’évaluer lui-même ce qui relève – ou non – d’une consommation équilibrée. La prise de conscience à ce sujet est beaucoup plus grande qu’autrefois. Il nous revient de donner l’information la plus complète possible. Indépendamment de cela, nous commercialisons et investissons dans des snacks sains. D’ailleurs, nos spéculoos d’aujourd’hui sont bien plus sains que ceux d’il y a trente ans. La teneur en sucre est bien moins élevée. Nous ne révolutionnons pas nos recettes, mais progressons petit à petit. Nous ne communiquons pas sur le sujet parce que tout ce que les gens souhaitent c’est que le goût de leur spéculoos ne change pas. Pour moi, il est même meilleur que jamais !
La pâte à tartiner au spéculoos a été un succès immédiat. Quel produit pourrait devenir aujourd’hui le nouveau ‘classique’ ?
Je crois beaucoup aux produits à base de fruits, destinés aux enfants. Ils pourraient rapidement devenir ce classique. Bear est fabriqué avec de la véritable pulpe de pommes et de poires et ne contient aucuns sucres ajoutés. Sain et délicieux. C’est d’ailleurs le point de départ de tout produit que nous mettons sur le marché : il doit être savoureux. Sinon, ça n’en vaut pas la peine.
En 2015, vous aviez tenté, mais sans succès, de racheter la marque Jules Destrooper. Quel était votre objectif ? Prendre pied dans le segment le plus cher ?
Absolument et nous n’avons pas renoncé à cette ambition. Nous suivons attentivement les entreprises qui sont bien implantées sur leur marché domestique. C’est une donnée importante parce que cela signifie que vous pouvez, dès le départ, vous appuyer sur du solide. Il n’existe pas énormément d’entreprises qui répondent à ce profil. Nous continuons donc nos recherches. Je pense que la plupart des entreprises du secteur savent ce que nous avons en tête et qu’ils nous connaissent bien.
Vous avez évoqué votre ambition ultime : conquérir le monde avec le spéculoos.
Cela reste notre objectif. Mais il ne nous intéresse nullement de fanfaronner en clamant que nous sommes présents dans 130 pays. Non, nous voulons conquérir des marchés pour nous y ancrer solidement, des marchés où le spéculoos sera un produit de consommation quotidienne. En Belgique, près de 65% des familles achètent un produit Lotus au moins une fois par an. C’est énorme. En France, le taux est de 20% et nous observons que les chiffres progressent significativement en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, aux environ de 10%. C’est un travail de longue haleine, de dix à vingt ans.
Comment travaillez-vous ?
Notre stratégie est bien rodée. Nous commençons par conclure des accords avec l’industrie hôtelière, les compagnies aériennes et ainsi de suite. Les consommateurs peuvent ainsi apprendre à connaître nos produits. Lorsque, in fine, nous franchissons le cap du retail, le fait que nous soyons déjà un peu connus facilite le lancement, d’autant plus que nous pouvons compter sur l’appui des retailers. Nous avons bien l’intention de renforcer notre Lotus ‘Bisco ’ aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Nous allons investir dans des spots télévisés pour construire notre notoriété. Je suis convaincu que nous ferons encore progresser nos best-sellers dans les pays où nous sommes déjà présents. A l’heure actuelle, nous nous attaquons au Brésil et au Mexique. L’idée est donc bien de conquérir le monde ! Ce n’est qu’une question de temps. Beaucoup regardent avec des yeux ronds le succès de Lotus Bakeries, mais tout ce que nous entreprenons est dicté par le long terme. Nous ne nous précipitons jamais.