Les consommateurs qui préfèrent acheter frais leurs fruits et légumes devraient y réfléchir à deux fois car, selon Jan Haspeslagh, managing director du géant des surgelés Ardo, “les produits surgelés sont au moins aussi bons et certainement moins chers que les produits frais. Mais de nombreux consommateurs n’en sont pas encore conscients.”

Le ciel est gris et les températures flirtent avec le zéro. La petite ville d’Ardooie en Flandre Occidentale, où est établi le siège du fabricant de produits surgelés Ardo, aurait bien besoin, en ce début décembre, de se réchauffer. Jan Haspeslagh nous accueille dans la salle de réunion d’où l’on jouit d’une vue parfaite sur l’usine et, plus loin, sur les champs environnants. Le patron d’Ardo n’est pas un grand orateur, mais personne ne lui en tiendra rigueur car ses actes parlent pour lui. Ardo vient en effet de prendre une participation majoritaire dans VLM Foods, fournisseur canado-américain d’aliments transformés avec lequel l’entreprise flamande collabore depuis des années.

L’accord conclu avec VLM Foods lui a également permis d’acquérir une participation de contrôle dans la société Compañia Frutera La Paz S.A., le plus important producteur d’ananas surgelés du Costa Rica dont Ardo assurera désormais la distribution des produits en Europe. Le rachat de VLM Foods est éminemment stratégique car il permet à Ardo de prendre solidement pied sur le marché nord-américain. “Nous sommes excellemment bien positionnés sur le marché européen qui représente un tiers de la consommation mondiale. Dorénavant, nous avons accès à un marché qui pèse d’un poids identique, un tiers de la consommation mondiale. Mais il y a un autre intérêt : la plupart des nouvelles tendances naissent aux Etats-Unis avant de traverser l’Atlantique.”

Des quelles tendances parlez-vous ?

Je pense en priorité au bio, bien plus développé aux Etats-Unis que chez nous. Ce marché est en pleine croissance, également en Belgique. Aujourd’hui, il ne représente encore que 4% de notre chiffre d’affaires mais j’escompte bien qu’il atteindra 15% dans les cinq ans. Le marché flamand n’est malheureusement pas facile à convaincre, surtout comparé aux marchés français, allemand, danois et même wallon.

Comment l’expliquez-vous ?

La Flandre a tendance à vouloir tout voir en grand : plus c’est grand, moins c’est cher. Cette mentalité est présente dans tous les secteurs et ne facilite pas, loin de là, le passage à l’agriculture bio. Pour beaucoup, la consommation de produits bio n’est qu’une mode passagère qui ne peut pas s’inscrire dans le long terme. Mais, nous le constatons chez nos clients, elle ne disparaîtra pas de sitôt. Je suis même convaincu qu’il est possible d’avoir une agriculture 100% bio ! C’est évidemment un changement radical par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui.

Mais le bio restera plus cher pour le consommateur…

Je ne le pense pas. Je suis persuadé que le bio ne doit pas nécessairement être plus cher. Il s’agit d’appliquer de nouvelles méthodes de culture. Si vous cultivez des légumes dans les conditions les plus naturelles et si vous vous assurez d’avoir des plantes plus saines, vous ferez un meilleur usage des possibilités. Beaucoup d’avancées technologiques jouent un rôle dans la production bio, des progrès qui nécessitent moins de travail et de main-d’œuvre. Les exemples ne manquent pas. Vous pouvez utiliser un GPS pour déterminer l’endroit idéal pour travailler la terre et y planter vos produits. Au lieu de lourdes machines qui détruisent les sols, vous pouvez utiliser des machines plus légères qui les laisseront intacts. En outre, elles peuvent également déterminer la distance idéale entre chaque plante avec pour résultat qu’elles ne rouleront plus sur les cultures, que vous obtiendrez une meilleure structure des sols et des plantes plus saines qui n’auront plus besoin de produits chimiques pour les préserver des maladies.

Pensez-vous que l’on vous suivra dans cette voie ?

Et pourquoi pas ? Pour certains légumes, les rendements peuvent déjà égaler ceux de l’agriculture traditionnelle. Il s’agit seulement de convaincre les agriculteurs de sauter le pas. Peut-être le gouvernement devra-t-il leur proposer des incitants car le passage à l’agriculture bio n’est pas facile. Il faut plusieurs années pour changer. Des organisations de consommateurs, des organisations environnementales, des gouvernements et des organisations agricoles exercent une pression très forte pour que l’on bannisse herbicides et pesticides. Dans un tel contexte, les marques et les retailers sont très inquiets de l’image négative qu’ils renvoient et ni les unes ni les autres ne souhaitent courir de risques. D’autant plus que, en la matière, les consommateurs sont de plus en plus favorables à la tolérance zéro.

Mais vous-même êtes confrontés à un solide problème : beaucoup de consommateurs préfèrent le frais au surgelé.

Effectivement, mais il ne s’agit que d’un problème de perception même si, malheureusement, ce problème persiste depuis longtemps. D’un point de vue purement rationnel, le surgelé est au moins aussi bon que le frais. Les légumes surgelés contiennent beaucoup plus de vitamines et réduisent les déchets dans le chef du consommateur puisqu’ils sont généralement coupés et préparés. Ils sont aussi moins chers. Néanmoins, les supermarchés s’intéressent davantage aux produits frais car les marges bénéficiaires sont plus importantes. Ils ne veulent pas investir dans le rayon des surgelés. Allez voir les magasins : le rayon frais est souvent un département à lui tout seul alors que le rayon des surgelés ne fait que quelques mètres, souvent à la toute fin du parcours, quand les clients ont déjà rempli leur caddie. Pour moi, il y a beaucoup à faire en matière de présentation des produits. Même s’il existe de notables exceptions, les produits surgelés ne sont pas mis en valeur.

Que devraient faire les retailers ?

Ils pourraient commencer par donner une meilleure place aux surgelés. Plusieurs exemples démontrent que c’est tout à fait possible. Je pense aux supermarchés espagnols Mercadona où les produits sont présentés par catégorie – tous les légumes ensemble, tous les poissons ensemble, etc. – avec une offre complète : frais, conserves, secs et surgelés. En regroupant ainsi les produits et en laissant le choix au consommateur, les ventes de surgelés ont fortement augmenté. Nous pourrions faire pareil en Belgique. Ce n’est qu’une question de volonté et j’espère que les supermarchés l’auront. Je suis persuadé que ce renouvellement de la présentation boosterait leur chiffre d’affaires.

Mais il faut également convaincre le consommateur. Comment le feriez-vous ?

Par le passé, nous avons réalisé maintes campagnes de sensibilisation à la qualité des produits surgelés. Mais le secteur ne dispose pas des moyens suffisants pour bien investir dans cette communication. Pourtant, je constate que dans les pays scandinaves, par exemple, la perception des produits surgelés joue un rôle moins important que chez nous. C’est pareil aux Etats-Unis où la perception par rapport aux fruits surgelés joue beaucoup moins. D’un point de vue purement rationnel, le surgelé est le meilleur choix. Les légumes surgelés vous permettent de varier beaucoup plus votre alimentation car vous n’êtes pas lié à l’offre du moment. Sans compter que le frais est souvent plus cher et moins disponible. Si les consommateurs en étaient plus conscients, leur comportement d’achat changerait. Nous pensons que les retailers peuvent contribuer à ce changement.

Pour les retailers, la pression sur les prix est plus forte que jamais. Un supermarché comme Delhaize doit, lui aussi, se battre contre les discounters. Comment contourner l’obstacle ?

La pression sur les prix a toujours existé. Elle n’est pas plus forte aujourd’hui qu’elle ne l’était hier. En tout état de cause, notre réponse est de réaliser l’output maximum pour un impact minimum. Autrement dit : nous essayons de rendre la production de légumes la plus efficiente possible. Mais il va de soi qu’il y a une limite à la pression sur les prix.

Vous évoquez l’émergence du bio et son succès aux Etats-Unis. Quelles autres tendances US auraient des chances de s’imposer chez nous ?

Il y a très clairement une demande de substituts aux produits riches en glucides : le riz à base de chou-fleur y répond. Nous innovons en introduisant de nouveaux légumes sur le marché : le paksoi, la patate douce, les algues, le soja ou encore le quinoa et le chou. Nous fabriquons également des frites à partir de différents légumes : carotte, panais, betterave ou patate douce. C’est une bonne façon de manger des légumes. Ce qui importe, c’est de continuer à surprendre le consommateur. Nous avons également lancé de nouveaux fruits à la mode, comme les myrtilles, la mangue et d’autres encore. Le consommateur se laisse moins tenter par les grands classiques, pommes ou poires.

 

En tant que fabricant, vous êtres très directement concerné par le réchauffement climatique. Etes-vous affecté ?

 

Absolument. Nous devons répartir davantage la production pour maintenir un approvisionnement constant. Si la récolte de petits pois est décevante en Belgique, nous pouvons la démarrer plus tôt au Portugal, ce qui nous permet de faire face à une pénurie en Europe du nord. Cela s’est déjà produit à plusieurs reprises. Pour certains légumes – maïs, poivrons ou brocolis par exemple – nous travaillons en Europe du sud, où le climat est plus chaud. Et quand nous manquons de certains légumes classiques comme les haricots ou les épinards, nous nous tournons également vers le sud. Aujourd’hui, nous sommes plus fréquemment exposés à de longues périodes de sécheresse ou, au contraire, de pluies. Ce n’est pas facile à gérer. Pour ma part, et contrairement à l’opinion quasi générale, je ne crois pas que l’homme soit la seule cause du réchauffement climatique. Nous vivons une ère plus chaude comme cela s’est déjà produit par le passé. Personne ne sait ce que l’avenir nous réserve : il n’est pas impossible que nous subissions un refroidissement général plutôt qu’un réchauffement. Attention, je ne suis pas en train de dire qu’il ne faille rien faire pour prévenir le réchauffement de la planète ! Nous mettons tout en œuvre pour réduire les émissions de CO2 de nos usines. Je ne crois tout simplement pas que l’homme soit l’unique responsable du réchauffement climatique. D’ailleurs, un climat plus chaud ne doit pas être un problème : il offre plus de possibilités de sorte que nous bénéficierions de plus de variété dans notre alimentation.

 

Pour conclure : après celui de VLM Foods, songez-vous déjà à de nouveaux rachats ?

 

Non, ce n’est pas à l’ordre du jour. Ce rachat est acté et nous devons d’abord nous concentrer sur ce nouveau marché. Il n’y a donc aucune urgence à en envisager d’autres. Tant en termes de technologie que de taille, les entreprises européennes de produits surgelés sont au top. Nous sommes très satisfaits de ce que nous avons aujourd’hui.