Plus besoin de vous décrire ce que le foodretail a vécu depuis le 12 mars, avec un flot de consommateurs se ruant dans les magasins pour y remplir leurs caddies de produits divers. La frénésie semble bien terminée, à présent que le confinement total a été imposé. Les données recueillies par Amoobi viennent le confirmer, tout en montrant quelles catégories sont à présent recherchées ou délaissées.

Il y a mille façons de rendre compte de la ruée sur les rayons connue récemment par les supermarchés. Celle du spectacle des linéaires vides et des témoignages du personnel. Celle des chiffres de ventes, provisoirement placés sous un silence pudique, mais qui pourrait bien atteindre une croissance de +40% au plus fort de la vague, inégalement répartie sur les différentes catégories. Et puis il y a aussi des données extrêmement précises et fiables, celles qu'a partagées avec nous Amoobi. Cette jeune entreprise belge se charge de suivre pour toute une série d'enseignes, sur quatre continents, le parcours du client en point de vente.

Très concrètement, Amoobi installe au plafond des magasins des capteurs optiques qui suivent les trajets des clients dans les différents rayons. L'objectif n'est pas d'enregistrer des images – ce ne serait pas respectueux de la vie privée – mais plutôt d'analyser les positions, les mouvements, les circuits, le temps passé dans les différentes allées du magasin. Toutes ces données décrivant le comportement client permettent d'optimiser l'implantation d'un magasin, entre ses zones "froides" ou "chaudes", d'évaluer la pertinence de certains choix de concept commercial, de juger la performance d'une zone promotionnelle ou encore de mesurer l'état des files d'attente.

Autant dire que cet outil très objectif a détecté des changements importants dans le comportement récent des shoppers. La preuve avec ces deux graphiques transmis par Amoobi, relatifs à deux rayons particulièrement concernés, celui des pâtes alimentaires, et celui du papier toilette. Il s'agit bien entendu de données globales et anonymisées, et non de relevés spécifiques à une enseigne cliente.

Une demande triplée sur certaines catégories !

Qu'y voit-on ? Une courbe qui décrit le nombre de clients s'arrêtant face au rayon d'un produit concerné. Peu importe d'ailleurs que celui-ci soit encore rempli ou non : même un shopper dépité de le trouver vide va s'arrêter, ce qui exprime déjà son intention initiale d'y acheter des produits. La visite qu'il rendait à la catégorie était délibérée. Ce que les capteurs d'Amoobi détectent n'est pas le chiffre d'affaires, mais la demande, satisfaite ou non.

Le commentaire, c'est Olivier Delangre, CEO d'Amoobi, qui nous le fournit : "La première chose à constater, c'est que la demande évolue par phases. Au début du mois de mars, quand les premiers cas de contamination sont confirmés en Belgique, la menace se précise, mais elle ne se traduit pas encore de façon brusque dans les préoccupations d'achat du consommateur." La fréquentation des rayons s'élève bien vers le 6 mars pour les pâtes, le riz, les produits d'hygiène, mais pas encore dans des proportions qui menacent le réassort de façon critique.

" La réactivité aux nouvelles - attendues ou annoncées - est brusque, immédiate, massive ; chaque nouvelle mesure de renforcement du confinement déclenche aussitôt, juste avant (par anticipation) ou juste après (par réaction) d'énormes pics de fréquentation. "

Il en va tout autrement le 12 mars. L'annonce des premières mesures gouvernementales n'intervient que vers 22 heures, mais elle a été largement anticipée par la population, puisque celle-ci se précipite en masse dans ces rayons à partir de 17 heures. Même topo le lundi 16 mars et le mardi 17 mars, où la vague déferle dès l'après-midi, le public s'attendant à des mesures de confinement bien plus sévères, qui ont déjà été annoncées en France. "Les pics de fréquentation atteignent alors +100% en début de journée," confirme Olivier Delangre.  La réactivité aux nouvelles - attendues ou annoncées - est brusque, immédiate, massive ; chaque nouvelle mesure de renforcement du confinement déclenche aussitôt, juste avant (par anticipation) ou juste après (par réaction) d'énormes pics de fréquentation. Et cette fois, sa soudaineté interdit toute chance d'éviter les ruptures. D'autant plus que les acheteurs les plus angoissés attendent souvent de pied ferme et de grand matin l'ouverture du magasin, qui se retrouve alors prématurément privé de marchandises.

La vague de stockage est passée

Les graphiques d'Amoobi le prouvent : le mouvement de stockage s'est éteint dès l'entrée en vigueur du confinement total, le 18 mars à midi. "Tout au plus constate-t-on depuis lors une petite remontée sur le papier toilette," observe Olivier Delangre." Mais le pic est passé, et la demande évolue désormais davantage en fonction d'une adaptation à la vie quotidienne de cette période de confinement. Les catégories où les nombres de visite sont désormais au-dessus de la moyenne normale sont les conserves et les surgelés, et ceci s'observe dans tous les pays où nous sommes actifs. A l'inverse, la demande faiblit sur les plats préparés, les salad bars, les sushis, et tout particulièrement sur les produits en vrac, où le consommateur éprouve très vraisemblablement la crainte que ceux-ci aient été touchés par d'autres clients." Dans les drinks, si l'eau a connu des pics de stockage la semaine dernière, Amoobi nous fournit la confirmation d'une déduction toute rationnelle: les cafés étant fermés, le consommateur confiné visite à présent bien davantage le rayon des bières.

S'adapter à une nouvelle normalité

Quels enseignements tirer de cette récente vague d'achats de stockage ? Olivier Delangre évoque les défis auxquels doivent désormais répondre les distributeurs et les marques. "Ce qui frappe bien sûr, c'est l'extrême soudaineté de l'explosion de la demande, immédiatement sensible à la moindre information ou rumeur circulant dans les media. Elle provoque alors une énorme distortion de la demande. Toute la question est désormais de savoir comment se réadapter à une forme de normalisation, et se réorienter vers une demande qui évolue, n'étant plus ni celle des temps normaux, ni celle de la semaine dernière. A court terme, il y aura bien entendu un coup de frein sur les catégories où le stockage a été excessif ; la demande sera plus que probablement altérée pour quelques semaines."

" Cette crise a replacé la consommation alimentaire sous les feux de la rampe. La nouvelle normalité qui va se mettre en place ne sera plus tout à fait la même que celle que nous avons connue. "

Olivier Delangre
CEO Amoobi

Mais les enjeux ne sont pas simplement pratiques, et Olivier Delangre développe une analyse qui rejoint celle de la rédaction de Gondola : "En assurant sa mission dans des conditions tendues, la grande distribution a vu son image valorisée dans le grand public. Comment renforcer ce lien de confiance, et se réadapter pour répondre au besoin de protection manifesté par le consommateur? Ceci posera inévitablement des questions sur les assortiments et leur gestion. Le debriefing de ce qui s'est passé va aussi se traduire en "stress tests" sur la capacité du système à absorber de tels chocs. Et nous travaillons bien entendu beaucoup à mesurer l'évolution du comportement client: comment va-t-il se stabiliser à l'avenir ? Une chose est plus que probable: cette crise a replacé la consommation alimentaire sous les feux de la rampe. La nouvelle normalité qui va se mettre en place ne sera plus tout à fait la même que celle nous avons connue."

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