“Il est grand temps pour les retailers de réévaluer leur relation avec le consommateur. Le modèle du tout à la demande avec livraison immédiate n’est pas tenable”, affirme Ellen Petry Leanse. Celle qui a dans une autre vie travaillé pour les géants de la technologie Apple et Google et qui a côtoyé Steve Jobs fera partie des orateurs du Gondola Day le 31 mai prochain.
Ellen Petry Leanse jouit d’une solide réputation à la Silicon Valley. Elle a été directrice Global Marketing Communications chez Google, a participé à la mise sur pied des premières communautés en ligne d’Apple, a travaillé au côté de Steve Jobs et a conseillé plus de 40 start-ups. En 2012, elle figurait dans le classement des femmes les plus influentes de la Silicon Valley. Elle publie aujourd’hui un livre captivant intitulé ‘The Happiness Hack’, dans lequel elle explique comment nous affranchir de la pression des technologies et des modes de consommation modernes. Un point de vue qui peut paraître étrange de la part de quelqu’un qui a pendant de longues années été au service de grandes entreprises technologiques, mais c’est justement cette riche carrière qui la met dans une position unique pour analyser l’impact de la technologie et de la consommation sur notre vie.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Parce que je suis inquiète. Après ma carrière dans des entreprises high-tech, j’ai travaillé dans l’enseignement (elle est professeur à l’université de Stanford, ndlr.) et il m’a semblé que les gens étaient moins heureux. Cela m’a intriguée. Je me suis interrogée sur les causes de ce phénomène. Et apparemment, il y a un lien avec les technologies que nous utilisons tous les jours. Les ingénieurs des géants de la technologie savent pertinemment bien comment capter et conserver notre attention. Ils recourent à des mécanismes profondément enfouis en nous qui nous ont servi autrefois lorsque nous étions chasseurs et devions bâtir des huttes pour nous abriter. Ils nous rendent ainsi accros à notre insu et nous devenons malheureux. La Silicon Valley pirate notre cerveau.
Cela vaut aussi pour nos habitudes de consommation dites-vous : nous voulons tout tout de suite, mais cela ne nous rend pas nécessairement plus heureux.
Nous sommes conditionnés par la technologie à voir nos désirs exaucés à la demande. La technologie s’efforce de combler l’écart entre ce que nous voulons et ce que nous possédons. Cela peut paraître positif à première vue mais, à terme, ce n’est pas tenable. Et nous le savons tous. À la longue, cela nous rend malheureux.
Comment pouvons-nous consommer de manière plus raisonnée ?
Il ne faut pas chercher bien loin. On accorde d’ores et déjà plus d’importance à la production locale, à l’alimentation artisanale, au bio et ainsi de suite. C’est la voie de l’avenir. Les retailers doivent s’y préparer. Beaucoup ne le font pas car ils se focalisent sur les données. Mais les données donnent exclusivement une image du passé. Pour anticiper les changements, il faut s’intéresser à ce que les gens font et veulent.
Que veulent les gens ?
Créer du lien social, appartenir à une communauté et avoir le sentiment de faire quelque chose de constructif de leur vie. De plus en plus de gens voient dès lors un lien entre leurs comportements de consommation et l’environnement, le contexte géopolitique et les conditions de vie des populations du monde entier. Notre attitude vis-à-vis des produits change. Pour les retailers, il y a de quoi avoir peur. C’est une révolution. Pourtant, la situation leur ouvre des perspectives. Ceux qui tiennent compte de ce bouleversement et savent en tirer profit sortiront gagnants.
On va donc vers plus de durabilité.
Oui, et cela vaut aussi et surtout pour la relation entre les entreprises et les clients. Le consommateur est acteur d’un écosystème qui doit devenir plus durable. Je mets les retailers au défi. Les entreprises ont payé le prix fort en assimilant clients et consommateurs et en les réduisant à des données anonymes. Nous avons trop tendance à les considérer comme des éponges qui absorbent tout ce qui est mis sur le marché. Mais cela ne peut pas durer.
Parlons à présent de tout autre chose : vous avez travaillé en étroite collaboration avec Steve Jobs. C’était comment ?
Steve était un homme formidable. Pas un jour ne passe sans que je pense à lui. Je trouve dommage que tant de gens pensent que c’était un salaud et qu’il faut en être un pour exceller dans son travail. C’est faux. Steve trouvait que les gens s’imposaient trop de restrictions. Il lui arrivait de les secouer pour leur en faire prendre conscience. Et je suis tout à fait d’accord avec lui. C’est vrai qu’il faisait parfois passer son message de manière aimable, et à d’autres moments de façon plus abrupte. Quoi qu’il en soit, il reste un héros et une merveilleuse source d’inspiration.