Nathalie Matterne, merchandise director et membre du Comité Exécutif chez Carrefour Belgique, compte plus de 25 ans d’expérience dans le secteur FMCG. Avec Paul Peugnet, sales development director et également membre du Comité Exécutif, elle fait partie des orateurs du Sales & Nego de Gondola Academy qui aura lieu le 26 septembre prochain. En voici un avant-goût.

Comment se prépare-t-on pour aborder les prochaines négociations ? 

Une bonne préparation c'est s'assurer 80 % de réussite.

D’abord, il faut analyser l'évolution du marché. Aujourd’hui, on constate qu'il n’y a quasi plus d'inflation alimentaire, en tout cas pour le consommateur. On constate aussi que le marché belge ne progresse quasi plus en volume. Il faut comprendre les dynamiques de catégorie et des marques qui l'animent (ainsi que leurs rôles) et l'évolution du ratio entre marques nationales et marques propres. Ensuite, il faut faire le point sur l'évolution des prix et des marges générées. Se préparer c'est aussi comprendre la stratégie de chacun des partenaires de négo et définir une ambition commune. Par ailleurs, je conseille également aux industriels de bien comprendre ce qu'il y a derrière leurs tarifs. A mon sens, un tarif doit toujours refléter l'évolution du cours des matières premières.

Vous sentez que les acteurs du retail se sont enrichis de l’expérience des négociations en temps de crise ?

Bien sûr, on sort toujours grandi de ses expériences. Ceci vaut autant pour nous que pour les industriels. Toutefois, avec du recul, je m'étonne de voir que certains tarifs n’ont toujours pas baissé alors que les cours des matières premières sont en baisse. Ceci génère un gap plus important entre le prix de la marque propre et celui de la marque nationale.  Du coup, chez Carrefour, nous constatons que notre propre marque progresse naturellement plus vite que les marques nationales dans les catégories qui ont subi des hausses tarifaires. Il serait donc judicieux pour les industriels de connaitre l'élasticité-prix de leurs marques.

On voit aussi que  sur le marché, les prix de vente n'ont pas évolué autant que les tarifs, mettant dès lors nos marges sous pression. Il sera donc nécessaire pendant nos négociations futures d'apporter des solutions durables à la profitabilité de chacun.

Voir des produits disparaître des rayons à cause des non-deals est encore d’actualité ?

Nous voulons éviter ce genre de situation qui prend en otage nos clients, mais pas à tout prix, car chaque produit doit mériter sa place, en d'autres mots apporter une profitabilité minimale. Concrètement, pour éviter cela, on accélère les rounds de négociations, on se re-challenge et on cherche des solutions créatives. 

Dès que l’issue semble inévitable, nous nous préparons en amont via des approvisionnements parallèles et des collaborations renforcées avec d'autres fournisseurs pour lesquels l'opération est très bénéfique.  Le client reste au centre et ne peut être pénalisé. 

Quels sont les défis auxquels vous faites face dans la négociation ?

Le premier défi auquel nous faisons face est un manque de vision à plus long terme. Certains pensent plus au résultat de leur négociation plutôt qu’à leur objectif de croissance à 3 ans. 

Un second défi, c'est de convaincre les industriels de différencier leur approche par retailer ou encore d’apporter des solutions plus durables et innovantes.  Il faut davantage aborder la collaboration commerciale au sens large. Par exemple, comment différencier tous nos formats entre la proximité (Carrefour Express), le supermarché (Carrefour Market), l'hypermarché (Carrefour Hyper) et l'e-commerce. Ce sont des sujets importants sur lesquels on attend les industriels aussi. Il ne faut pas que la négociation soit transactionnelle, mais plus stratégique et holistique.

Enfin, je dirais que le dernier défi est de toujours d'offrir un rapport qualité-prix qui soit convenable pour le client.

Comment peut-on sortir gagnant des négociations ?

Il faut penser en triple-win et d’abord mettre le client au centre, puis Carrefour et l'industriel. Pour sortir gagnants, je pense qu’il est nécessaire d’aller au-delà de la négociation d'un tarif et de conditions mais penser dynamique catégorielle, performance catégorielle, approche par format, collaboration logistique, ... Il est question de voir comment travailler ensemble pour atteindre nos objectifs respectifs et trouver des terrains communs de croissance.

Enfin, 5 conseils pour bien gérer ses négociations ?

  1. Installer un cadre de négociation, un climat de confiance et se préparer. Pour ce faire, il faut analyser les chiffres de ventes mais aussi revisiter nos magasins, aller à notre rencontre et à celle de nos clients et de nos franchisés. 
  2. Avant de négocier, il faut échanger et comprendre les “business plans” respectifs : Qu’est-ce qui est important pour chacun de nous? Comment peut-on s'améliorer? Et quelles sont nos sources de croissance communes ?
  3. Au-delà du tarif, il faut avoir une approche globale. Chaque tarif doit complètement être justifié par rapport aux coûts de production et évolutions de matières premières. Il faut être raisonnable aussi et reconnaître les déflations.
  4. Bien gérer son temps. Il faut avoir fini en décembre pour bien démarrer l'année dès le 1er janvier.
  5. Enfin, le succès des négociations ne réside pas uniquement dans cette négociation de tarifs et de conditions, mais dans notre faculté à se faire grandir mutuellement.