C'était le prochain magasin figurant sur la liste des ouvertures prévues par Albert Heijn en Flandre. Un chantier plus qu'avancé, puisque Albert Heijn Eeklo devait ouvrir ses portes le 14 mars prochain, une date coïncidant ironiquement avec l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de Delhaize devant statuer sur la fusion avec Ahold. Le site? Un ex-garage Volkswagen sur la Koning Albertstraat, dont on imagine le chantier de transformation plus qu'avancé.
Or, on apprend ce vendredi que le magasin n'ouvrira jamais ses portes ! Et certains des futurs collaborateurs amenés à l'exploiter (il était question d'une équipe de 45 personnes), qui avaient entretemps débuté leur écolage dans d'autres magasins du réseau, se seraient vu signifier aujourd'hui de façon officielle la fin prématurée de leur contrat.
Bien sûr, on pense aussitôt aux discussions entourant l'avis préalable remis par l'Autorité de la Concurrence, et qui subordonne la fusion à la cession d'une série de magasins des enseignes respectives des deux groupes. Cet avis ne vise pas directement des magasins précis, mais identifie des zones où la fusion pourrait aboutir à une position dominante, à charge pour les enseignes concernées de faire des propositions jugées acceptables. Faute de celles-ci, l'Autorité de la Concurrence déciderait d'autorité le 17 mars. En ce qui concerne Albert Heijn, les noms de huit magasins ont été évoqués par les syndicats. Eeklo, qui n'était pas même ouvert, n'en faisait pas partie. Mais on remarque aussitôt que la commune d'Eeklo compte déjà deux magasins battant pavillon... Delhaize: un Delhaize supermarché (intégré) sur la Brugsesteenweg, et un AD Delhaize dans la Stationstraat. Voilà qui pouvait sans doute menacer l'équilibre commercial local, même si Colruyt, Carrefour market, Lidl et Aldi sont eux aussi bien présents dans la commune. L'abandon du magasin d'Eeklo serait-il une mesure destinée à préserver les magasins Delhaize existants, et en particulier le magasin affilié? Si aucun nom de magasin Delhaize n'a officiellement transpiré, il est par contre certain que les magasins potentiellement concernés (quatre ou cinq) sont des AD Delhaize. Une situation plus que délicate pour Delhaize, qui ne souhaite certainement pas faire payer à ses partenaires indépendants le prix de la fusion. Mais céder ou fermer à nouveau des Delhaize intégrés, alors que les cicatrices du plan de restructuration sont à peine refermées, serait courir le risque de rallumer le feu social dans tout le réseau. La décision d'Albert Heijn de renoncer au magasin d'Eeklo pourrait dès lors être interprétée comme un sacrifice permettant d'éviter localement à Delhaize pareil dilemne. Sacrifier un magasin pour en préserver un autre: une mesure qui n'aurait rien d'inédit. Il se murmure par exemple que si l'avis de l'Autorité de la Concurrence a eu pour effet de mettre sur la sellette l'Albert Heijn de Lokeren, ce serait pour ne pas avoir à céder ou fermer le magasin de la Ghelamco Arena, le stade du AA Gent. Si telle devait être l'explication de l'ouverture avortée d'Eeklo, il y aurait pourtant une différence de taille: le choix se serait fait entre des enseignes bientôt cousines mais qui n'en restent pas moins distinctes. Et dont les équipes ne renoncent pas de gaieté de coeur à élargir leur propre périmètre au nom de la solidarité de groupe.
Disons-le aussitôt: aucun élément précis ne nous permet de faire de ce scénario autre chose qu'une hypothèse. Rien, sauf l'absence d'autre explication. Si le renoncement d'Albert Heijn ne pouvait s'expliquer par les suites données à l'avis de l'Autorité de la concurrence, il serait encore bien plus troublant, et jetterait cette fois le doute sur la stratégie d'Albert Heijn en Flandre, sa volonté de s'y développer ou maintenir, alors qu'elle viendrait d'y atteindre le seuil de rentabilité? On ne devrait pas attendre longtemps avant d'être fixé: Ahold et Delhaize ne voudront certainement pas laisser les choses traîner jusqu'à la date butoir du 17 mars, ni même jusqu'à celle - délicate - du 14 mars, pour conclure ce dossier.