Franchisation de 128 magasins Delhaize, inflation élevée des produits alimentaires, tendance des consommateurs à opter massivement pour les marques de distributeurs... l’année 2023 a été pour le moins mouvementée. Director consumer panel Belgium & The Netherlands au sein du Consumer Panel Services GfK, Davy Van Raemdonck a accepté de répondre à nos questions.

Quel regard portez-vous sur l’année écoulée ?

L’année a été particulièrement agitée car le secteur a dû faire face à de nombreux défis. À commencer par l’impact sur le comportement d’achat de l’augmentation des prix. La pression sur le budget familial a incité les consommateurs à faire des choix plus réfléchis. On a observé un léger recul des volumes, essentiellement dû au glissement de la consommation in-home vers la consommation out-of-home. Mais aujourd’hui, les ménages, et en particulier les moins aisés, font des choix ciblés. Si les volumes diminuent c’est qu’ils éprouvent plus de difficultés à boucler les fins de mois.

Ensuite, l’augmentation des prix exerce une pression sur les différents business model des retailers FMCG, les obligeant, eux aussi, à faire des choix. À cet égard, le débat autour du modèle de la franchise est peut-être le principal fait marquant. Il fait rage chez Delhaize mais également chez d’autres acteurs. Un changement de modèle provoque nécessairement de l’agitation sur le marché. Si les changements se font plus discrètement chez certains acteurs que chez d’autres, je pense qu’on est encore loin d’avoir tout vu. Les questions stratégiques de cet ordre sont sur la table de pratiquement tous les conseils d’administration. Enfin, les relations entre fabricants et retailers sont de plus en plus tendues en raison de la hausse des prix consécutive à l’augmentation des coûts qui, elle-même, impacte les marges.

Les relations entre fabricants et retailers sont-elles réellement plus tendues que d’habitude ?

Oui, j’ai le sentiment que le jeu se durcit. Aujourd’hui, c’est le court terme qui prime. La guerre pour les parts de marché fait rage comme jamais, ce qui ne facilite évidemment pas la mise en place de partenariats structurels à long terme. Dans un premier temps, elle semble se jouer principalement entre les marques A et les marques de distributeurs. On voit combien ces dernières ont progressé, profitant des conditions économiques actuelles. Mais la question est de savoir si les marques A doivent tenter de lutter sur le terrain des prix et des promotions car, ce faisant, elles s’arrachent mutuellement des parts de marché sans nécessairement en enlever aux marques de distributeur.

Selon vous, que devraient faire les marques A pour gagner des parts de marché à long terme ?

Miser sur la communication et l’innovation, ce qui suppose évidemment des investissements et des choix stratégiques. Il est important que les marques A continuent d’innover car, face aux nombreuses alternatives disponibles, les consommateurs posent des choix plus réfléchis en termes de prix, de promotions ou de durabilité par exemple. C’est pourquoi il y a risque d’en perdre encore davantage. Dès lors, les marques A n’ont d’autre issue que de proposer continuellement de nouvelles choses de sorte de convaincre systématiquement les shoppers et de s’assurer de leur fidélité à long terme. Lancer des innovations qui marchent est moins évident qu’il n’y paraît et c’est encore plus vrai aujourd’hui qu’hier car les marques A sont, elles aussi, impactées par l’augmentation des prix. Mais elles doivent se montrer patientes car, sur le long terme, les innovations assurent leur survie ! L’an dernier, les consommateurs ont massivement opté pour les marques de distributeurs qui ont atteint des sommets jamais vus. Et le mouvement ne semble pas prêt de s’inverser. C’est effectivement un risque. Nous avons déjà constaté par le passé qu’en période de forte inflation, les marques de distributeurs gagnaient toujours des parts de marché. Lors de la crise financière de 2008, elles ont gagné 1.% de parts de marché en Europe occidentale. Quand leur pouvoir d’achat diminue, les consommateurs optent délibérément pour les marques de distributeurs qui continuent ensuite sur leur lancée. Lors de la crise sanitaire, c’était l’inverse : confinés chez eux, les consommateurs ont avant tout songé à se faire plaisir avec des marques de confiance. Mais avec l’inflation et l’augmentation des coûts, ils se tournent à nouveau vers les marques de distributeurs qui ont atteint le pourcentage de parts de marché le plus élevé jamais enregistré. L’an prochain, l’évolution de ce nouveau rapport dépendra de l’inflation des produits alimentaires. Si elle reste élevée et que les prix des produits FMCG continuent d’augmenter, les marques de distributeurs continueront à tirer profit de la situation.

La franchisation de nombreux magasins entraîne un changement structurel du paysage de la distribution où l'on observe une évolution claire vers une consolidation accrue du marché.  

Davy Van Raemdonck

Quel impact ce changement de rapport aura-t-il sur le marché ?

Quand on voit que les innovations ne sont plus l’apanage des marques A, je pense que ce qui fait la force du secteur est en train de changer. Les marques de distributeurs en lancent également et le mouvement pourrait prendre de l’ampleur à mesure que leur importance sur le marché grandit. Jusqu’ici, il y avait bataille entre marques A et marques de distributeurs mais, si la tendance se poursuit, il ne me semble pas illogique qu’à long terme, proposant elles-mêmes des innovations, les marques de distributeurs se concurrencent entre elles. D’ailleurs, je pense qu’avec le temps la dénomination ‘private label’ disparaîtra car elle ne correspondra plus à la réalité. Il faudra en trouver une autre qui signifierait ‘marques appartenant aux retailers’. On voit bien qu’ils investissent de plus en plus dans le branding de leurs marques propres qui deviennent, de facto, de véritables marques sur le plan stratégique. La distinction entre marques de distributeur et marques A pourrait finir par disparaître complètement. On aura alors un ensemble de marques, propriété de fabricants et de retailers, qui se feront concurrence.

Mauvaise nouvelle pour les marques A ?

Pas nécessairement. La bataille pour s’attirer les faveurs du consommateur et se ménager une place en rayon sera toujours aussi féroce mais je reste convaincu qu’il y aura toujours de la place pour les marques A. Ceci étant, il sera d’autant plus important pour elles de maintenir leur pertinence, d’abord grâce aux innovations, ce que les retailers eux-mêmes réclament, et ensuite grâce à un rapport qualité-prix structurellement bon et équilibré.

Vous abordez là un sujet sensible. On parle beaucoup du fait que les prix des supermarchés ne baissent pas, au contraire de l’inflation. Comment l’expliquez-vous ?

Certaines conclusions sont trop simplistes. L’énergie exerce une forte influence sur l’inflation, ce qui crée un effet retard en termes d’impact sur d’autres prix, y compris ceux des produits alimentaires. Ainsi, alors que l’inflation est pratiquement nulle pour l’instant, l’inflation des produits alimentaires reste élevée. Mais elle baissera avec le temps. Reste à savoir si nous nous dirigerons effectivement vers la déflation. Outre les hausses des prix de l’énergie et d’autres matières premières, le secteur est également très dépendant du personnel et notre système d’indexation automatique des salaires ne contribue pas à la maîtrise des prix.

Davy Van Raemdonck
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Gondola

La baisse du pouvoir d’achat a provoqué une multiplication des offres promotionnelles. Il semble qu’une véritable guerre se soit engagée.

Tout à fait et elle ne s’arrêtera pas tant que l’inflation des produits alimentaires restera élevée. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose car l’objectif des promotions est surtout de gagner des parts de marché à court terme. À un moment donné, compte tenu de la pression exercée sur les marges, il faudra sans doute faire des choix et s’interroger sur la durabilité de ces promotions ‘dures’ car elles coûtent cher. Certains acteurs pourraient alors décider d’arrêter les frais, ce qui les fera immanquablement perdre en volume mais ne signifiera pas nécessairement une perte effective de leur marge, marge qui leur permettrait d’investir.

On a assisté l’an dernier à un grand mouvement de franchisation, Delhaize en tête. Quel impact cela a-t-il eu sur le marché ?

La franchisation de nombreux magasins entraîne un changement structurel du paysage de la distribution où l’on observe une évolution claire vers une consolidation accrue du marché. On le constate non seulement en Belgique mais aussi aux Pays-Bas où un certain nombre de retailers sont rachetés par d’autres. L’échelle devient donc de plus en plus importante, y compris en termes d’équilibre des forces lors des négociations. Les acteurs qui sont forts localement finissent par faire partie d’un groupement d’achat à l’échelle internationale dans le but d’être encore plus puissants. Mais la bataille pour les parts de marché se joue toujours au niveau local.

Quelles autres évolutions marquantes avez-vous noté ?

Un peu mise à mal par les crises sanitaire et inflationniste, la tendance qui recouvre les concepts de durabilité et d’écologie existe depuis un certain temps. Notre étude Who Cares? Who Does?, que nous réalisons depuis plusieurs années, montre que le nombre d’écoactifs, c’est-à-dire de shoppers qui non seulement indiquent que l’écologie ou la durabilité est une question importante mais qui agissent également en conséquence, augmente d’année en année et continuera de croître dans les années à venir. La durabilité est une tendance importante pour l’avenir, dont fabricants et retailers devront tenir compte à long terme et tout au long de la chaîne.: depuis la production jusqu’à la logistique en passant par l’emballage et, par extension, à l’ensemble du marketing mix en tant que tel. Par ailleurs, nous constatons également que l’e-commerce a été mis sous pression, même si c’est sans doute très temporaire.

Les volumes, qui ont été sous pression ces deux dernières années, augmenteront à nouveau dès que l'inflation des produits alimentaires commencera à diminuer et que les ménages auront plus de marge de manoeuvre, notamment grâce à la baisse des prix de l'énergie.

Davy Van Raemdonck

Une conséquence de la crise inflationniste ?

Notamment mais aussi par manque de vision à long terme. Avec la forte inflation et l’augmentation des coûts, certains business model (livraisons flash, supermarchés en ligne, etc.) ont subi une forte pression financière et ont soulevé des questions quant à leur évolutivité. Par conséquent, comme c’est souvent le cas avec le capital-risque, ces modèles peuvent être éphémères si d’autres options plus intéressantes émergent. Ils dépendent donc fortement de la vision à long terme et de la patience dont on fait preuve pour développer l’entreprise et la rendre rentable à long terme. En ce qui concerne l’e-commerce en général, la situation est différente : le modèle est parti pour rester, même s’il faut reconnaître que, depuis la pandémie, tout le monde s’attendait à ce que sa croissance s’accélère ce qui n’a finalement pas été le cas. Nous observons même un léger recul qui s’explique en partie par la baisse des ventes de boîtes repas, dont le prix a logiquement augmenté. À une époque où les consommateurs font attention à leurs dépenses, il n’est pas surprenant que certains segments premium soient sous pression. La commodité a tout simplement un prix. Le nombre d’acheteurs de boîtes repas a un peu diminué. D’un autre côté, je m’attends à ce que cette baisse ne soit que temporaire et à ce que l’e-commerce reprenne rapidement sa croissance une fois que l’inflation, et plus particulièrement l’inflation des produits alimentaires, sera revenue à la normale.

Qu’attendez-vous de 2024 ?

À mon avis, l’inflation des produits alimentaires restera élevée au cours des premiers mois, ce qui aura naturellement un impact sur les prix et, surtout, sur la conscience que les consommateurs en ont. La situation bénéficiera inévitablement aux marques de distributeurs. Les promotions resteront également importantes. En revanche, je m’attends à ce que les volumes, qui ont été sous pression ces deux dernières années, augmentent à nouveau dès que l’inflation des produits alimentaires commencera à diminuer et que les ménages auront plus de marge de manœuvre, notamment grâce à la baisse des prix de l’énergie.

En guise de conclusion quels sont, selon vous, les défis à venir pour les retailers et pour les marques ?

J’en reviens à la vision à court terme que davantage d’acteurs devraient oser abandonner. Ils doivent réfléchir stratégiquement à la portée de leurs promotions, mais aussi à la manière dont ils peuvent développer différemment leurs marques, en étant attentifs à leur durabilité tout au long de la chaîne. Ils doivent également veiller à la pertinence de leurs produits en misant sur l’innovation. Ces éléments, combinés à un bon rapport qualité-prix, doivent convaincre les consommateurs de les préférer.

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Cet article a été publié précédemment dans l'édition Vision 2024 du magazine Gondola.

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