Les principales évolutions du retail ces dix dernières années sont compilées, sous forme numérique, dans le Gondola Retail Report de Gondola Academy. Il constitue l’outil idéal pour permettre aux marques A et aux retailers de comparer leurs propres performances à celles du marché. Entretien avec Silvie Vanhout, managing partner de Gondola Academy.

Le moment est enfin venu. Après des mois de travail acharné, Silvie Vanhout, managing partner de la Gondola Academy, et son équipe ont réussi à compiler les principales évolutions du secteur de retail ces dix dernières années. “Le Gondola Retail Report contient des données uniques qui, jusqu’à récemment, n’étaient pas disponibles sur le marché. Il constitue également un outil qui permet aux marques A et aux retailers de comparer leurs performances à celles du marché”, explique Silvie Vanhout.

Jusqu’ici, Gondola Academy publiait chaque année quatre posters, réunis dans la collection ‘The Essentials’. Mais la plateforme de connaissance et de formation de Gondola souhaitait aller plus loin. “Cela fait dix ans que nous publions le poster Retail Scan qui recense, par enseigne, les parts de marché, les chiffres d’affaires, le nombre de points de vente et leur surface moyenne. Et chaque année, on nous demandait si nous n’avions pas un aperçu plus large des dix dernières années. J’ai toujours gardé le projet dans un coin de la tête et, l’an dernier, quand nous avons fêté le 10ème anniversaire de Gondola Academy, je me suis dit que le moment était venu.” 

L’objectif initial était de produire un rapport d’une vingtaine de pages mais la nature du projet a changé en cours de route. “Il s’agit finalement d’un flipbook numérique d’un peu moins de 100 pages, contenant, entre autres données, le nombre de magasins et leur surface, avec une distinction entre magasins intégrés et franchisés, l’évolution du nombre de points de vente au cours des dix dernières années, le chiffre d’affaires et son évolution, le chiffre d’affaires par m² et les cartes d’identité des groupes de distributeurs et des enseignes individuelles. Aucune de ces données n’étaient reprises sur nos posters.”

Il est intéressant de noter que les chiffres utilisés pour le rapport sont les seuls corrects. “Les chiffres figurant sur nos posters étaient effectivement corrects au moment de leur publication mais nous avons quelque fois dû apporter des modifications par la suite parce que nos estimations concernant certains retailers se sont parfois révélées légèrement différentes de la réalité. Les chiffres utilisés dans ce rapport sont les seuls corrects : ils figurent dans les états financiers publiés par la Banque Carrefour des Entreprises et ont été approuvés par les retailers eux-mêmes.” Mais que trouve-t-on d’autre dans ce rapport ? Silvie Vanhout a accepté de nous répondre. 

Quelle est pour vous l’une des évolutions les plus marquantes que révèle ce rapport ?

Je dirais celle des chiffres d’affaires. Nous constatons qu’Action connaît la plus forte croissance. Pour parvenir à ce résultat, nous avons comparé les chiffres de 2015 et 2022, puisque les chaînes near food ont été ajoutées à partir de cette année-là, de sorte que nous pouvons comparer à la fois les food retailers et les near food retailers. Au cours de la période indiquée, Action a progressé de 168 %, réalisant un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros. C’est énorme. L’augmentation est principalement due à l’ouverture de magasins, mais les ventes par m² ont également augmenté du fait de la curiosité des consommateurs, avides de découvrir une offre variée à très bas prix. Ce sont des produits dont ils n’ont pas toujours besoin, mais qui leur ‘font du bien’ et il s’agit avant tout d’achats d’impulsion.

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La deuxième plus belle progression est celle d’Intermarché (69 %), suivi au troisième rang par Lidl (50 %), dont les résultats sur le marché belge sont excellents depuis de nombreuses années. Ces deux chaînes sont différentes de ce que l’on pourrait croire à première vue car leur croissance ne provient que marginalement des ouvertures de magasins. Intermarché par exemple, compte 3 magasins de moins qu’en 2015. Si leurs résultats s’améliorent, c’est qu’elles ont amélioré leur concept. Intermarché l’a même revu complètement, avec un meilleur assortiment et de meilleures promos, un virage qui lui a parfaitement réussi. Et ce n’est pas tout car le rachat des magasins Carrefour de Mestdagh, qui seront inclus dans la prochaine mise à jour du rapport, vont lui permettre de plus que doubler le nombre de ses points de vente et d’augmenter sa part de marché de 2,5 à 4,6 %, une estimation basée sur les ventes de Mestdagh au sein de Carrefour. L’avenir d’Intermarché semble donc prometteur. Bien entendu, cela ne signifie pas que tous les magasins ayant fait l’objet d’une profonde refonte vont performer autant qu’avant, car les consommateurs peuvent changer de magasin. C’est pourquoi je pense que les ventes au m² devraient légèrement diminuer en 2023 avant de revenir, espérons-le pour l’enseigne, au niveau antérieur dès 2024.

Comme vous le soulignez vous-même, le retail a connu de nombreux bouleversements ces dernières années. Quel impact sur le nombre de magasins en Belgique ?

Nous ne disposons pas encore des chiffres pour 2023, mais en comparant 2022 à 2021, on constate que 23 magasins ont disparu si l’on considère l’ensemble des magasins recensés, y compris les commerces de proximité. En revanche, si l’on considère spécifiquement le food retail, celui-ci a perdu 60 magasins, un chiffre qui s’explique par la disparition de Makro et Metro, mais aussi des 28 magasins Supra dont Lambrechts ne tient plus compte et des fermetures de 15 magasins Louis Delhaize et 9 magasins Ahold Delhaize. Le fait que le nombre de fermetures se soit limité à 23 s’explique principalement par la progression du near food et plus particulièrement d’Action. En revanche, si l’on considère les dix dernières années, on constate que 300 magasins ont été créés, soit une moyenne de 30 nouveaux magasins par an. Cela semble beaucoup, mais ce ne l’est pas au vu des grandes ambitions affichées par Albert Heijn et Jumbo au moment de leur irruption sur notre marché. Lidl aussi pensait pouvoir ouvrir autant de magasins qu’Aldi mais n’y est pas parvenu et je ne sais pas s’il y parviendra un jour. Il ne faudrait pas perdre de vue que le marché belge est saturé. Quand on sait que Jumbo a encore des projets et que des chaînes françaises envisagent de s’installer, chez nous, je me demande vraiment comment elles vont s’y prendre. Le plus extraordinaire est qu’en dépit de la saturation, nos gouvernements autorisent encore l’installation de chaînes étrangères. C’est d’autant plus incompréhensible que les acteurs belges qui souhaitent ouvrir des magasins à l’étranger se voient opposer une fin de non-recevoir.

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Quelles opportunités voyez-vous pour de nouveaux acteurs ?

Les magasins de Makro sont vides et disponibles car les immeubles ne font pas partie de la faillite. Par ailleurs, les magasins Cora sont en vente depuis longtemps sans que cela ne suscite grand intérêt. Pourtant, ils offrent des opportunités au Français Leclerc, qui se concentre sur les magasins de plus grande taille. Mais ce ne serait pas nécessairement simple : rien ne dit que Leclerc imposerait facilement son concept en Belgique et qu’il pourrait ouvrir de nombreux magasins. Albert Heijn y est parvenu, avec quelques difficultés, mais c’est une tout autre histoire pour Jumbo. L’enseigne a débarqué chez nous fin 2019 et n’a pas eu de chance puisque la crise sanitaire éclatait en mars 2020. Elle a également rencontré beaucoup de difficultés à obtenir des permis de construire, notamment parce que de nombreuses communes, proches de la saturation, ne veulent pas de nouveaux magasins.

Lorsqu’il est question de nouveaux magasins, il s’agit généralement de magasins franchisés. Qu’en est-il de la proportion entre magasins intégrés et franchisés sur le marché belge ?

Si l’on considère food et near food ensemble, le rapport entre magasins franchisés et intégrés est resté à peu près constant ces dernières années, soit 50/50. L’explication tient au fait que les chaînes near food sont reprises dans le poster depuis 2015. Il s’agit principalement de chaînes de magasins intégrées, ce qui peut donner une image déformée du résultat final. Car force est de constater que dans le food, les magasins franchisés sont devenus de plus en plus nombreux. 

Pour ce qui est des magasins de proximité, le nombre de magasins intégrés, qui a toujours été faible, a encore diminué : on en comptait 96 en 2012 contre 75 l’an dernier, un nombre étonnamment bas. En revanche, les magasins franchisés se sont multipliés, avec un pic en 2019, mais leur nombre diminue lentement car ils sont confrontés aux effets de l’inflation.

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Qu’en est-il des supermarchés ?

C’est un peu plus complexe. Dans le rapport, nous avons comparé 2012 à 2022. Mais il faut savoir qu’en 2012, Huyghebaert, un distributeur malinois livrant près de 300 points de vente, était encore présent sur le marché belge. L’entreprise a cessé ses activités en 2013, et le goodwill de sa clientèle a été acquis par Lambrechts. Ces magasins n’ont pas pour autant nécessairement poursuivi leur activité sous une enseigne en franchise, comme Lambrechts le propose avec Spar. Comme beaucoup de ces magasins autrefois attribués à Huyghebaert ont pour cette raison disparu du radar, on a le sentiment que le nombre de supermarchés franchisés a brutalement diminué de 20 % (de 1262 à 1014). Mais si on exclut cet ‘effet Huyghebaert’ de notre équation, le nombre de magasins franchisés reste plus ou moins stable. Quant aux magasins intégrés, leur nombre augmente de 17 %, soit de 566 à 663. Proportionnellement, il y a bien sûr davantage de magasins franchisés et il y en aura encore plus l’année prochaine, surtout si on tient compte de la franchisation des 128 magasins intégrés de Delhaize. Cela promet de grands changements sur le poster Retail Scan l’an prochain, d’autant plus que Mestdagh a rejoint Intermarché. J’ai déjà hâte de voir le poster et la mise à jour du Gondola Retail Report !

Le retail risque-t-il de ne plus être constitué que de franchisés ?

Je ne le pense pas. Le groupe Colruyt, par exemple, n’adoptera jamais la franchise pour l’ensemble de ses magasins car c’est une manière de travailler qui ne correspond pas à la sienne. Delhaize le fait, mais le danger pour l’enseigne est qu’il lui deviendra de plus en plus difficile de tester des nouveautés de tous ordres : pour le faire, il va falloir convaincre les franchisés, qui investissent leur propre argent, de le faire à sa place. L’idéal est de conserver un petit noyau de magasins en propre, comme Carrefour, dont 90 % des magasins sont franchisés mais qui possède encore 70 magasins en propre qui font office de laboratoires d’essai. Par ailleurs, pour conserver sa place sur le marché, il est préférable de posséder des magasins en propre. Il est plus facile à un acteur actif de développer la notoriété de sa marque, de connaître le marché et de saisir les tendances.

Qu’en est-il de la franchise dans le near food ?

Je pense qu’à l’heure actuelle, les magasins intégrés resteront majoritaires. Si votre argument premier est le prix, il n’est possible d’être rentable qu’avec des magasins intégrés. Un franchisé ne peut se permettre de miser sur ce seul argument, les marges sont trop faibles pour survivre. Je ne pense donc pas que le near food empruntera la voie de la franchise pour l’instant.

Revenons-en au rapport et au chiffre d’affaires par m². Quel retailer performe le plus sur ce plan ? 

Comme attendu, le groupe Colruyt se montre le plus performant avec 10.800 euros/m² sur base annuelle, un excellent résultat qui s’explique par les prix les plus bas que pratique l’enseigne et sa bonne gestion de l’out-of-stock. Les magasins sont approvisionnés en continu et leur back-office fait parfaitement son travail. La leçon à tirer s’impose d’elle-même : il faut maîtriser les bases du métier !

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Le retail a souffert ces dernières années. Ses difficultés se traduisent-elles par une chute des performances au m² ? 

Oui, si l’on compare 2022 à 2018 – avant cela, nous ne disposions pas de toutes les données sur les surfaces de vente – le chiffre d’affaires moyen par m² a baissé de 2,4 %. Cela s’explique par le comportement d’achat des consommateurs qui a complètement changé en 2022.

Le comportement d’achat peut-il encore revenir à ce qu’il était auparavant ?

Les avis sont partagés. À la lecture des chiffres de NielsenIQ, et plus particulièrement ceux qui concernent les parts de marché des marques de distributeur, on constate qu’elles ont énormément augmenté ces dernières décennies. Alors qu’elles n’étaient que de 20 % en 1983, elles atteignent 40,50 % aujourd’hui. Le seul moment de fléchissement a été la crise sanitaire, quand les consommateurs recherchaient des produits plus ‘sûrs’ et se sont tournés vers les marques A dont ils étaient familiers. Mais elles n’ont pas enregistré de recul lors des autres crises, gagnant même de nouvelles parts de marché par la suite, quand les consommateurs leur ont à nouveau fait confiance. Il est clair que la baisse du pouvoir d’achat les incite à tester les marques de distributeur et, une fois convaincus de leur qualité, ils ne reviennent pas aux marques A. Celles-ci restent optimistes, affirmant que les consommateurs leur reviendront quand leur pouvoir d’achat se sera amélioré mais je n’en suis pas si sûre !

Que faudrait-il pour que les consommateurs se tournent à nouveau vers les marques A ?

Que les prix baissent car la différence de prix est énorme. Sur certains produits, elle atteint 70 % ! Le problème est aussi que les consommateurs commencent à dépenser leur argent différemment. Une fois convaincus de la qualité des marques de distributeur, ils préfèrent consacrer le budget disponible à des activités récréatives, concerts, sorties au restaurant, week-ends d’escapade, etc. Ce changement explique pourquoi les parts de marché des marques de distributeur n’ont jamais vraiment baissé, si ce n’est pendant la crise sanitaire.

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Y a-t-il un problème à ce que les parts de marché des marques de distributeurs continuent d’augmenter ?

Absolument, car l’innovation et les études de marché sont essentiellement du chef des marques A ! Elles sont indispensables au développement des catégories. Sans compter que pour les retailers, les marges sont bien plus importantes sur les marques A que sur leurs propres marques de distributeur. Mais on constate aujourd’hui que, confrontées à l’augmentation des coûts provoquée par la crise, certaines marques A freinent sur le développement d’innovations. Cela signifie que retailers et marques A vont devoir relever ensemble le défi de trouver des rapports de prix plus équitables, de sorte que les consommateurs reviennent vers les marques A mais aussi qu’elles ne soient pas seules à supporter le poids des coûts élevés qu’elles ne peuvent répercuter.  Ce juste milieu n’est pas simple à trouver quand on sait la pression qu’exercent les actionnaires.

Dernière question : y aura-t-il un autre Gondola Retail Report à l’avenir ?

Tout à fait ! J’aimerais d’ailleurs le développer davantage, par exemple en faisant des comparaisons entre retailers belges et néerlandais. Nous travaillons actuellement sur une base de données des points de vente et nous avons déjà réalisé avec GraydonCreditsafe une étude sur la manière dont les franchisés peuvent résister dans les conditions actuelles. À terme, j’aimerais étoffer le rapport en y incluant davantage d’informations financières, à l’image du rapport de Marketing Map, dont la dernière publication date de 2016. Ce rapport rendait compte des chiffres d’affaires et des bénéfices/pertes des franchisés. Nous avons donc encore beaucoup de projets dans les cartons mais il est déjà acquis que notre Gondola Retail Report fera l’objet d’une mise à jour annuelle ce qui permettra aux marques et aux retailers de rester au fait des derniers changements sur le marché. Et nous continuerons bien entendu à publier nos posters. C’est un travail absolument passionnant !

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Pour commander votre exemplaire du Gondola Retail Report ou obtenir davantage d’information, contactez Mathise Ceulemans à l’adresse m.ceulemans@gondola.be

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