Nous vous le signalions voici peu: Ahold Delhaize voudrait soumettre ses grands fournisseurs à des conditions d’achat revues avec effet rétroactif. Une information qui n’a pas seulement généré de très nombreuses visites sur notre site la semaine dernière: elle suscite aussi pas mal de réactions sur le marché, à l’image de celle de Walter Gelens, CEO de l’association des producteurs de marques nationales, le BABM (Belgilux Association of Branded products Manufacturers). Walter Gelens considère que le groupe fraîchement fusionné renierait de la sorte des accords préalablement conclus au niveau de la Concertation de la Chaîne, via la SCI (Supply Change Initiative).
Ahold et Delhaize ayant finalisé leur fusion, le groupe s’attache désormais à revoir les contrats qui le lient à ses 100 fournisseurs internationaux les plus importants. Et il exigerait entre autres d’obtenir des conditions d’achat plus favorables, qui s’appliqueraient avec effet rétroactif, à dater du 1er janvier 2016.
Il semblerait que Delhaize ait payé ses fournisseurs, des années durant, jusqu’à 15% de plus que ne le faisait Albert Heijn. La fusion étant bouclée, le groupe entend bien que Delhaize bénéficie de conditions d’achat aussi favorables que l’enseigne hollandaise, et que ceci s’applique de surcroît avec effet rétroactif. On évoque également un bonus d’intégration dont les fournisseurs devraient s’acquitter.
“Pas correct”
Si Ahold Delhaize posait effectivement de telles exigences, ce serait en contradiction avec les accords conclus à travers la Concertation de la Chaîne, dans le cadre de “The Supply Chain Initiative”, considère Walter Gelens. Le CEO du BABM nous explique en quoi consiste la SCI: “Il s’agit d’un code de conduite européen qui a été signé par tous les maillons de la chaîne, y compris les retailers. La renégociation des conditions ne serait pas correcte et entrerait en conflit avec les accords préalablement conclus.”
Aucune plainte officielle n’a encore été formulée, souligne Walter Gelens. “Les négociations entre distributeurs et fabricants sont confidentielles, et il appartient en outre à chaque marque de mener les négociations de façon individuelle.” Tant que ces faits n’auront pas été formellement confirmés, le BABM n’entreprendra pas d’éventuelle action. Et Walter Gelens ne veut pas réagir de façon prématurée.
“A ce stade, il ne s’agit que de témoignages anonymes transpirant dans les media. Et il est de surcroît encore difficile de lire ou anticiper la stratégie que Ahold Delhaize compte suivre en matière d’assortiment, de prix, de promotion, etc. Ce à quoi correspondrait d’éventuelles remises peut aussi varier d’un fabricant à l’autre. On se trouve aujourd’hui dans l’opacité. Je m’attends à ce que davantage de clarté se fasse après l’été.”
Le groupe Ahold Delhaize souligne qu’il discute pour l’instant exclusivement avec ses grands fournisseurs internationaux. L’achat auprès de marques plus modestes reste du ressort de chaque enseigne, Albert Heijn ou Delhaize.
Le commentaire de la Rédaction
Quelle que soit la teneur des discussions menées par Ahold Delhaize afin d’aligner les conditions dont bénéficient ses enseignes belges et néerlandaises, ceci marque indubitablement le premier effet spectaculaire de la fusion. Faut-il s’en étonner? Pas réellement: dès l’annonce du projet de fusion, les membres du board des deux entités avaient évoqué des synergies capables d’épargner jusqu’à 500 millions d’euros par an, trois ans après la concrétisation du nouvel ensemble. 60% de ces réductions de coûts étaient identifiées dans l’efficacité accrue de la structure d’achat, et l’Europe devait s’attribuer 25 à 30% de ces économies. En bonne arithmétique, ceci correspond dès lors à un objectif de 75 à 100 millions d’euros par an.
Si une part de ce montant pourrait marginalement être encore gagnée sur l’optimisation des achats de produits à marque propre, il était toutefois prévisible que les grands fabricants de marques A seraient mis à contribution. Et il est tout aussi probable que ceux-ci ont depuis des mois anticipé les exigences nouvelles d’Ahold Delhaize, en préparant leurs contre-arguments. Additionner le volume d’achat respectif d’Ahold et de Delhaize est une chose. Mais les conditions opérationnelles ne sont pas pour autant homogènes: les normes logistiques pratiquées de part et d’autre de la frontière ne sont pas identiques. Et les pratiques commerciales, de la politique promo aux contributions aux folders, ne sont le sont pas davantage. Les fournisseurs pourraient très bien soutenir qu’à un alignement parfait des conditions d’achat devrait correspondre un alignement tout aussi homogène des pratiques logistiques et commerciales, qui leur permette de consentir des ristournes en échange de gains de productivité et économies d’échelle les concernant. “Prouvez-nous les avantages concrets que nous apporte la fusion avant de les traduire en conditions d’achat.”
Mais il est tout aussi certain que le processus de fusion a mobilisé des batteries d’experts qui ont décortiqué à livre ouvert les conditions d’achat respectives des enseignes belge et néerlandaise. Plus l’écart est important, plus Ahold Delhaize sera enclin à agir sans délai. Ceci peut effectivement varier d’un fournisseur à l’autre. Et c’est peut-être de là que vient la véritable surprise, le caractère rétroactif que le groupe entendrait attacher à ce correctif. Un principe qui heurte manifestement les fournisseurs, puisqu’il n’est même pas lié aux négociations proprement dites, qui ne s’ouvriront qu’au prochain trimestre. Des négociations qui risquent de se faire sous haute tension, les concurrents belges de Delhaize et Albert Heijn ne comptant pas être traités en parents pauvres. Voilà qui imposera aux Key Accounts et aux acheteurs une préparation plus que pointue...