La santé des enfants n'est pas une priorité pour les supermarchés
Quelle enseigne rend les aliments sains facilement accessibles aux enfants ? “Ik ben meer dan mijn kassaticket”, concours qui récompense les initiatives durables des enseignes de grande distribution, a trouvé la réponse au cours de ces derniers mois du côté de Colruyt, qui a réalisé un programme de cuisine éducatif pour les enfants, en collaboration avec Studio 100.
Les supermarchés lancent-ils assez d’initiatives pour que les enfants mangent plus sainement ? “Non”, estime le jury de “Ik ben meer dan mijn kasaticket” : au cours des derniers mois, il n'a sélectionné que deux initiatives qu'il jugeait “suffisamment efficaces et crédibles”. “C’est décevant, alors que les supermarchés peuvent jouer un grand rôle”, soulignait le jury. La première initiative était SuperPlus, le nouveau programme de fidélité de Delhaize, qui permet aux clients de bénéficier de réductions de 5 à 15 % sur les produits arborant un Nutri-Score A ou B. Grâce aux recettes de la bande dessinée “The Magic Kitchen”, réalisée en collaboration avec Disney, les enfants sont également encouragés à choisir des aliments sains. Le deuxième candidat était De Pottenlikkers, collaboration entre Colruyt Meilleurs Prix et Studio 100, dont l’idée est de promouvoir une alimentation équilibrée auprès des enfants par le biais d'un programme de cuisine éducatif porté pour et par les enfants. Ce programme télévisé est accompagné de campagnes de marketing en magasin, axées sur l'expérience et la communication, ainsi que d'un livre de recettes. 59 % des quelque 2.000 électeurs en ligne ont choisi l’initiative De Pottenlikkers.
Apprentissage précoce
Le jury de dix personnes était notamment composé de Martijn Martens (Gondola Academy), Chris Claes (executive director Rikolto International), Nicholas Lambert (Fairtrade Belgium), Christophe Matthys (professeur de nutrition à la KU Leuven), Hendrik Slabbinck (professeur de comportement des consommateurs et de marketing à l'UGent) et Loes Neven (innovative manager pour le Vlaams Instituut Gezond Leven). Les membres du jury estiment que les supermarchés prennent relativement peu d’initiatives pour encourager les enfants à manger plus sainement. “Le nombre d'initiatives présentées a été décevant, surtout en comparaison avec l'année dernière. Je dois toutefois ajouter que le thème de cette année était très spécifique”, déclare Hendrik Slabbinck (UGent). Du point de vue de la santé, le fait que les supermarchés ne poussent plus les enfants vers une alimentation saine n’est pas une bonne nouvelle, ce qui devrait être également beaucoup plus prôné dans les écoles. Christophe Matthys, membre du jury et professeur de nutrition humaine à la KU Leuven, explique que “stimuler des habitudes alimentaires saines chez les enfants est une nécessité absolue. Une proportion importante d'enfants entre 2 et 14 ans sont en surpoids, et ce phénomène s'accentue avec l'âge. À l'âge de 12 ans, près d'une personne sur cinq est en surpoids. Plus tôt on s'occupera de cette question, mieux ce sera”.
Rôle des supermarchés
Est-ce aussi le rôle des supermarchés d'encourager les enfants à adopter de meilleures habitudes alimentaires ? Selon Nicolas Lambert, membre du jury et CEO de Fairtrade Belgium, c'est le cas : les consommateurs attendent des entreprises qu'elles assument leur responsabilité sociale. “Une étude menée par Fairtrade Belgium en mai 2020 montre que 62 % des consommateurs belges pensent qu'il est important que les entreprises fassent du commerce de manière durable et socialement responsable. L'objectif de cette initiative est de mettre en évidence les efforts positifs tout en stimulant un débat critique sur le rôle des supermarchés pour faire de la durabilité et de la santé la norme.” Hendrik Slabbinck déclare : “Les supermarchés ont certainement un rôle à jouer. En tant que consommateur, il n'est pas facile de résister aux stimuli dans un supermarché, surtout pour les jeunes enfants. Les consommateurs ont besoin d'un environnement qui les aide. Si vous voyez par la suite que certains supermarchés composent leur offre d'un quart de biscuits, de chocolat, de bonbons et de chips, il est difficile de résister. La prise de conscience est là chez les supermarchés, mais ils sont aussi dans une réalité économique où les changements ne se produisent qu'à contrecœur.”
Trop souvent, l'accent est mis sur la raison : des arguments rationnels sont donnés pour expliquer pourquoi il faut manger sainement. La santé est encore souvent associée à une nourriture ennuyeuse et peu appétissante. Il est facile de briser cette association.
Vient alors une autre question : que peuvent faire les supermarchés pour encourager les enfants à manger plus sainement ? Hendrik Slabbinck témoigne : “Les supermarchés devraient tout d'abord avoir une politique de nutrition saine pour les enfants. J'ai l'impression que c’est de plus en plus le cas. C'est important car la politique doit garantir des objectifs mesurables et réalisables. Une fois que vous avez une politique et des objectifs, vous pouvez ajuster votre portée et votre communication. Une fois que cela sera fait, les consommateurs suivront le mouvement et commenceront à faire ces choix. Les supermarchés peuvent adapter leur gamme de produits afin de proposer des produits plus sains. La composition des produits peut également être améliorée, en collaboration avec les producteurs et les institutions scientifiques, afin que les produits alimentaires contiennent moins de sucre, de graisse et de sel ajoutés. Pour les aliments malsains, l'accent est davantage mis sur les émotions, mais vous pouvez faire de même avec une alimentation saine. Trop souvent, l'accent est mis sur la raison : des arguments rationnels sont donnés pour expliquer pourquoi il faut manger sainement. La santé est encore souvent associée à une nourriture ennuyeuse et peu appétissante. Il est facile de briser cette association.”
Marketing pour les enfants
A cet égard, les deux projets sélectionnés semblent être forts, estime le rapport du jury. Ils initient les enfants à des produits alimentaires sains d'une manière agréable et éducative. Le jeu et l'amusement sont importants pour encourager les enfants à adopter une meilleure alimentation. Il faut toutefois ajouter que le marketing destiné aux enfants est un sujet délicat et qu'il faut établir des limites claires quant à ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Est-ce un facteur qui décourage les supermarchés ? “Le marketing auprès des enfants est certes délicat, mais en même temps, c’est un investissement important. Si on souhaite le faire, il faut le faire bien et pour une cause qui en vaut la peine”, explique Hendrik Slabbinck. On peut lire dans le rapport du jury : “Le jury estime qu'il existe encore de nombreuses possibilités d’évolution pour orienter les enfants vers des produits sains et de saison, qui respectent en même temps les règles éthiques en matière de marketing auprès des enfants.” Chez De Pottenlikkers en particulier, on pourrait faire beaucoup plus d’actions en magasin. Le rapport souligne que Delhaize fait preuve de leadership et réalise également de réels investissements. Le jury fait également quelques suggestions. Toujours d'après le rapport du jury : “L'initiative a donné lieu à un riche échange entre les membres du jury. Des opportunités de nouveaux concepts sont apparues. Par exemple : utiliser le même modèle que le terrain de jeu d'Ikea, celui où on laisse ses enfants jouer durant le temps des courses. Dans ce cas-ci, les enfants pourraient apprendre l'alimentation saine de manière ludique, en utilisant la méthodologie des Pottenlikkers.”
Enfin, le jury a accordé une mention spéciale au “Pain solidaire” d'Aldi. Cette initiative met en lumière le problème des enfants qui vont à l'école avec une boîte à tartines vide. Elle vend un pain spécial et collecte en même temps des fonds pour le Fonds Pauvreté des Enfants. Cette initiative, certes importante, n'a finalement pas obtenu un score suffisant, car elle est temporaire. Une initiative à plus long terme aurait fait beaucoup mieux aux yeux du jury. Ce dernier encourage Aldi à utiliser sa position de force parmi toutes les catégories de revenus pour travailler à des solutions structurelles.
Gondola Magazine
Cet article a été publié dans l'édition de janvier/février du Gondola Magazine. Curieux de lire d'autres articles ? Abonnez-vous vite !