Contrairement aux informations parues jusqu’ici, ce n’est pas le 14 mais le 17 mars prochain (au plus tard) que l’Autorité belge de la concurrence rendra sa décision définitive quant à l’obligation faite à Ahold et Delhaize de céder des magasins en Flandre. Trois jours plus tôt, doit se tenir l’assemblée générale des actionnaires devant statuer sur la fusion. Un contexte délicat qui doit encourager toutes les parties à chercher des solutions évitant trop de remous.

En subordonant son feu vert à la fusion des groupes Ahold et Delhaize à la cession d’une série de magasins, l'Autorité belge de la concurrence provoque mine de rien un petit séisme dans la distribution belge. Fermer ou vendre 8 magasins Albert Hein intégrés et 5 magasins AD Delhaize aboutirait à un total de points de vente… presque équivalent aux 14 magasins intégrés dont Delhaize voulait cesser l’exploitation en propre lors de l’annonce par l’enseigne de son plan de restructuration, en mai 2014. Certes, ce sont 2.500 emplois qui se trouvaient alors menacés par l’ensemble des mesures du plan, un chiffre réduit au final à 1.800 suppressions de postes, sans licenciements secs, via départs en prépension et départs volontaires. Les mesures évoquées aujourd’hui concerneraient environ 400 emplois, ce qui n’est pas rien, et explique que les succursales d’Albert Heijn visées se soient mises en grève.

Remarquons d’abord que les informations parues à ce jour sur le nombre et l’identité des magasins concernés n’ont pas de valeur définitive. C’est l’autorité de la concurrence elle-même qui nous a confirmé qu’il ne s’agissait pour l’instant que d’un avis, et que la décision définitive ne tomberait que le 17 mars au plus tard. La méthode d’évaluation ne consiste pas à cibler des magasins précis, mais à identifier des zones de chalandise où la fusion aurait pour effet d’offrir au nouveau groupe Ahold-Delhaize une part de marché locale représentant une position dominante, susceptible de réduire le niveau de concurrence profitable aux intérêts du consommateur. Une fois connu l’avis de l’auditorat, les parties concernées sont invitées à formuler des propositions. Ce n’est qu’en l’absence de tout accord que l’autorité de la concurrence serait amenée à statuer d’autorité, le 17 mars formant la date-butoir. Dans l’hypothèse où les discussions avec les enseignes aboutiraient à un compromis acceptable pour tous, la décision pourrait intervenir plus tôt.

Si l’identité des 8 Albert Heijn potentiellement menacés a fuité, c’est via une source syndicale. Pour les 5 (?) AD Delhaize évoqués, le secret est mieux gardé, et c’est peut-être tant mieux. Le noms de certains de ces magasins est pourtant parvenu jusqu’à nous, mais nous avons choisi de ne pas les diffuser tant qu’aucune véritable décision n’est tombée, par respect pour leurs exploitants, leur personnel, et tous ceux qui tâchent aujourd’hui d’aboutir à un résultat plus favorable.

L’épineux cas des affiliés

Si Albert Heijn devait effectivement fermer 8 points de vente intégrés, l’enseigne perdrait environ 20% du parc de magasins ouverts à ce jour en Belgique. Une mesure certes désagréable pour le Groupe Ahold, qui a probablement investi entre 1,5 et 2 millions d’euros sur chaque site, sans même évoquer le passif social. Bien sûr, on privilégiera le scénario d’une cession. Mais tous ces magasins Albert Heijn exercent-ils le même pouvoir d’attraction sur d’éventuels repreneurs? Des magasins tels que Anvers Groenplaats ou Gent Overpoort ne figurent probablement pas parmi les plus rentables, en raison du niveau des baux commerciaux qu’ils ont à supporter.

Côté Delhaize, la situation n’est pas plus agréable. Fermer ou céder des magasins affiliés à des réseaux concurrents, pour autant que ceux-ci y voient une complémentarité avec leur propre parc, c’est aussi céder des parts de marché, à un moment où Delhaize a fait de la reconquête de celles-ci un de ses objectifs prioritaires.

Mais il faut se rendre à l’évidence: quel que soit l’impact d’une telle mesure pour Ahold-Delhaize, elle ne représente qu’un sacrifice bien modeste dans la perspective d’une fusion dépassant de loin le cadre de la Flandre. Le personnel et les exploitants indépendants des magasins menacés le verront et vivront de façon bien différente, on les comprend. Mais il est tout aussi certain que du côté d’Ahold-Delhaize, on a intérêt à minimiser autant que possible les dégâts et les remous à l’approche de l’assemblée générale extraordinaire appelée à statuer le 14 mars prochain sur la fusion. Et à éviter de donner l’impression que les intérêts des commerçants indépendants sont simplement passés par pertes et profits, comme l’envisageait Pierre Vancrutsen, dans une interview parue dans nos colonnes en octobre dernier. L’ex-responsable franchise de Carrefour puis Albert Heijn, tout en y plaidant pour un regroupement plus offensif des franchisés de tous réseaux autour de leurs intérêts, y évoquait la fusion Ahold-Delhaize en pronostiquant que les affiliés risquaient y être les dindons de la farce.

Il y a bel et bien une organisation fédérant les commerçants indépendants en Flandre, avec buurtsuper.be, l’organisation créée par UNIZO. Manifestement, l’état d’esprit qui y règne pour l’instant vise moins à entretenir la polémique qu’à oeuvrer avec discrétion à la recherche de solutions constructives pour les indépendants concernés.

On le voit, beaucoup d’éléments de ce dossier se conjuguent aujourd’hui encore au conditionnel. Et c’est à plus forte raison le cas du sort des affiliés Delhaize, s’ils se retrouvaient contraints de quitter l’enseigne au lendemain du 17 mars. On pourrait s’attendre alors à un fameux imbroglio juridique. D’abord parce que ces indépendants ne pourraient pas rejoindre d’enseigne concurrente sans que Delhaize ne les libère de leurs obligations contractuelles, qui prévoient un droit de préemption. Ensuite parce que tous les affiliés ne sont pas nécessairement propriétaires ou locataires au premier rang des murs du magasin qu’ils exploitent. Et enfin parce que s’ils n’aboutissaient pas une issue favorable à leur activité, ces commerçants pourraient soulever la question des dommages et intérêts. Conclusion? En l’état actuel du dossier, aucune partie n’a intérêt à jeter d’huile sur le feu, toutes se doivent de chercher des solutions pragmatiques. Quant à l’hypothèse d’un recours contre la décision de l’Autorité de la concurrence, elle paraît hautement improbable: le dossier aboutirait à l’échelon européen. Plus il s’éloignerait du terrain belge, plus il serait abordé sous l’angle strict du principe de la concurrence, sans égards pour la concertation ou le dialogue.