Interview “Nous restons focalisés sur les Pays-Bas et la Belgique néerlandophone”
En dépit de sa très belle progression sur le marché belge, bol.com n'envisage actuellement pas de version francophone de son site pour attaquer le marché wallon. L'investissement serait trop important en regard des bénéfices potentiels. “Nous restons focalisés sur les Pays-Bas et la Belgique néerlandophone”, déclare le CEO Huub Vermeulen dans une interview exclusive. Il explique également les opportunités que sa plate-forme offre aux entrepreneurs belges et évoque les possibilités de partenariat avec AH et Delhaize.
Voilà un an jour pour jour que Huub Vermeulen prenait les commandes de bol.com, succédant à Daniel Ropers qui présidait à la destinée du webshop néerlandais depuis près de 20 ans. Huub Vermeulen lui-même est entré dans l'entreprise en 2001. Avant sa nomination, il était membre du conseil d'administration, en charge des opérations et du suivi ('operations & fulfilment'). “Je savais donc parfaitement à quoi m'attendre avant de m'asseoir dans le siège de CEO”.
Depuis sa fondation en 1999, bol.com a connu une évolution incroyable. Où en êtes-vous aujourd'hui ?
A nos débuts, nous n'étions qu'un modeste webshop qui vendait des livres. A l'époque, personne ne savait précisément ce que signifiait 'online'. Aujourd'hui, notre chiffre d'affaires atteint 1,6 milliard d'euros. Nous sommes devenus une entreprise très 'large' : nous ne cherchons pas à être un shop qui vend lui-même tout ce qu'il est possible de vendre. Nous justifions notre pertinence en nouant des partenariats avec d'autres entreprises de manière à offrir un assortiment suffisamment diversifié que pour cibler un très large public. Environ 40% du chiffre d’affaires est désormais généré par la plate-forme et il ne cesse de croître. Ces dernières années, bol.com a affiché une croissance moyenne de 30% à laquelle la plate-forme contribue de plus en plus. Nous avons 16 millions d'articles et une part croissante de ces articles est proposée par quelque 21.000 entrepreneurs – ou vendeurs externes – belges et néerlandais. De nouveaux entrepreneurs nous rejoignent tous les jours.
Parmi ces 21.000 vendeurs, combien sont belges ?
Environ 10% de nos partenaires sont belges alors que 20% de notre clientèle réside en Belgique. Cela ouvre de fameuses perspectives : je pense que nous sommes capables d'intégrer deux voire trois fois plus de partenaires belges pour leur ouvrir un marché de millions de clients potentiels, facilement atteignables. Nous possédons actuellement 9 millions de clients, dont 1,8 million en Belgique. Lorsque nous nous sommes lancés sur le marché belge en 2010, nous en comptions à peine 25.000.
Vos clients belges sont quasiment tous Flamands. En tant que filiale d'un groupe hollando-belge, ne devriez-vous vous pas vous tourner vers le marché belge francophone ?
Nous y pensons régulièrement mais, pour le moment, nous préférons nous concentrer sur la Flandre, car nous ouvrir au marché francophone serait d'une complexité infinie. Imaginez le travail titanesque que représente la traduction de 16 millions d'articles ! C'est uniquement cela qui nous freine car la livraison de commandes en Wallonie ne pose évidemment aucun problème.
Pour les étrangers vivant aux Pays-Bas et en Belgique, nous avons une version du site dans une langue que nous appelons le 'chinglish' : il s'agit d'une traduction automatique et, bien entendu, nous le signalons clairement aux visiteurs du site. Mais pour la seconde langue nationale, une traduction automatique n'est pas envisageable. Les clients francophones estimeraient – à juste titre – qu'ils ne sont pas pris au sérieux. Soit nous faisons les choses dans les règles de l'art, soit nous ne les faisons pas. C'est une condition sine qua non chez bol.com. Nous faisons toujours ce que nous promettons. Pour le moment, nous n'avons ni le temps ni les budgets pour créer une plate-forme francophone.
Cela peut bien sûr changer car c'est une clientèle potentielle facilement accessible géographiquement parlant. Mais c'est une question d'investissement et, en la matière, nous devons nous fixer des priorités.
Ne pourriez-vous procéder par étape ? On pourrait imaginer que, dans un premier temps, vous ne proposiez que de l'électronique ou de l'électro-ménager au marché francophone.
Non, parce que ce ne serait plus bol.com. Nous avons déjà pensé à cette solution et continuons à en discuter régulièrement. Mais le site est techniquement incapable de supporter une deuxième langue. L'investissement serait trop énorme. Nous ne sommes arrivés sur le marché belge qu'en 2009 et c'est de cette époque que date la décision – regrettable peut-être – d'un site exclusivement néerlandophone.
Ne pourriez-vous pas considérer cet investissement comme un premier pas vers une internationalisation plus large ?
Effectivement, mais quand vous considérez l'investissement et les efforts pour réaliser un premier ou un deuxième million de chiffre d'affaires sur un nouveau marché et que vous faites la comparaison avec nos coûts et le potentiel que nous possédons encore en Belgique et aux Pays-Bas, le choix est vite fait. Notre marge de progression est telle sur nos deux marchés actuels que nous avons décidé d'investir prioritairement dans des choses qui suscitent l'enthousiasme de nos clients, comme de nouvelles formes et délais de livraison. Nous avons encore beaucoup à faire pour satisfaire pleinement nos clients actuels…
N'est-ce pas laisser la voie libre à des acteurs comme Amazon pour s'emparer de ces marchés ?
Il y a d'autres acteurs internationaux qu'Amazon. Et c'est précisément pourquoi nous continuons de nous focaliser sur notre propre marché. Notre objectif est d'être pertinent et proche de nos clients. Il ne s'agit pas uniquement de proximité physique mais aussi de mentalité. Nous connaissons la culture, les coutumes. Nous savons que Saint Nicolas n'a pas la même signification aux Pays-Bas et en Belgique; nous connaissons les moments de la vente au détail et savons comment assembler les assortiments; nous connaissons les différentes méthodes de paiement. Le client ressent notre implication et nous reste fidèle. Notre approche est très différente de celle d'un acteur international qui dit : 'Prenons les Pays-Bas'.
Ne craignez-vous pas qu'un jour ou l'autre Amazon s'installe réellement sur le marché du Benelux ? C'est un marché intéressant.
Je n'ai pas à commenter ou à juger de la stratégie d'Amazon. Je ne décide pas en fonction de ce qu'Amazon pourrait vouloir faire, mais en fonction de ce que mon client juge important. Ceci étant, nous ne sommes pas naïfs et nous regardons autour de nous. Pas uniquement Amazon, mais tout ce qui se passe autour de nous. Que pouvons-nous apprendre ? Qu'est-ce que cela signifie pour nous ? Mais regarder autour de nous ne nous détourne pas de notre objectif premier.
Il ne sert à rien de chasser des fantômes et de réagir à ce qui pourrait se produire. Au final, c'est le client qui décidera de celui qui aura sa préférence. Nous veillons à l'attractivité de bol.com et à ce que nos vendeurs externes continuent de nous voir comme leur meilleur partenaire. Nous sommes très actifs sur notre marché et soutenons nos partenaires – je préfère le terme entrepreneurs qui colle mieux à ce qu'ils sont – dans leurs efforts pour se développer online. Nous les conseillons, et les aidons à vendre plus. Ils peuvent, par exemple, nous confier l'entièreté de leur logistique. Cela leur permet de livrer de manière aussi rapide, flexible et fiable que nous. Je constate avec plaisir que de plus en plus de partenaires choisissent de travailler avec 'Logistics via bol.com' (Lvb).
Combien sont-ils ?
Près de 1.800. Il pourrait y en avoir plus, mais pour cela nous devrions augmenter notre capacité. C'est la raison pour laquelle nous avons récemment décidé d'agrandir notre nouveau centre de distribution de Waalwijk, dont je vous rappelle qu'il n'est entré en service que l'an dernier. La construction des nouveaux bâtiments commencera au premier semestre de 2019 pour une ouverture courant 2021. Nous doublerons la surface pour atteindre 100.000 m². En d'autres termes, la capacité de stockage des entrepreneurs qui vendent par notre intermédiaire augmentera considérablement.
Bol.com a de plus en plus de clients et de ventes en Belgique. Envisagez-vous la construction d'un centre de distribution dans notre pays ?
La question est : cela aurait-il du sens ? Nous avons fait le choix de travailler autant que possible à partir d’un seul centre de distribution. Si nous devions travailler avec un deuxième centre, le client recevrait trop de colis et nous doublerions le travail de traitement et d'emballage. La logique logistique veut que vous concentriez vos activités en un seul lieu. Ce serait évidemment différent si les distances étaient plus grandes que ce qu'elles sont. Depuis Waalwijk, la distance jusqu'au nord de la Frise est la même que jusqu'à l'extrême sud de la Belgique. Il est ressorti des différentes simulations que nous avons effectuées que le meilleur endroit pour couvrir de manière optimale les Pays-Bas et la Belgique se situait entre Tilburg et Nieuwegein. Waalwijk est presque au milieu et c'est l'unique raison de notre choix.
Bol.com, Albert Heijn et Delhaize appartiennent au même groupe. Vous travaillez déjà avec Albert Heijn pour tout ce qui concerne les points d'enlèvement et les retours de colis. Une collaboration du même type est-elle envisageable avec Delhaize ?
Nous avons d'excellents contacts avec Delhaize et je pense que nous avons beaucoup à apprendre l'un de l'autre. Delhaize possède une parfaite connaissance du marché et du consommateur belge tandis que nous avons une grande expertise en matière d'internet et de réflexion numérique. Nous échangeons nos connaissances mais, à ce stade, je ne peux dire à quelles initiatives concrètes cela va nous mener.
N'y a-t-il pas de demande pour plus de coopération avec Delhaize ?
Il est bon que des sociétés sœurs partagent leurs connaissances et cherchent à travailler ensemble. Mais on peut se demander s'il n'est pas trop tôt pour une coopération commerciale. Nous-mêmes n'avons fusionné avec Ahold qu'en 2012. Ensemble, nous avons examiné ce qui pourrait fonctionner et ce qui ne fonctionnerait pas. Cela a, par exemple, conduit à la création de points d'enlèvement dans les magasins AH. Mais la précipitation est rarement bonne conseillère. Ce sont des processus auxquels vous devez réfléchir très soigneusement et qui prennent du temps. La fusion entre Ahold et Delhaize n'a pas encore deux ans.
Cela ne nous empêche pas de discuter avec nos collègues de Delhaize pour mettre au jour nos complémentarités. Vous serez évidemment avertis le jour où ces discussions déboucheront sur une collaboration effective.
Le jour où le petit bonhomme de bol.com deviendra rouge ?
(Rires) On peut imaginer bien des choses. La philosophie d'Ahold-Delhaize est que nous sommes un assemblage de marques fortes. Nous travaillons ensemble quand c'est possible et cela se passe généralement en coulisses. Mais nous restons des marques indépendantes. Les promesses à leur clientèle de bol.com, Delhaize ou AH sont différentes. Notre promesse est d’être un webshop très large. Chaque marque doit être forte sur son marché.