E-mails, cloud, drive, outils collaboratifs, WhatsApp… aujourd’hui, il est possible de travailler partout, tout le temps, avec parfois juste son téléphone à la main. Si la technologie est bien sûr source de rentabilité et de productivité, elle a aussi ses dérives. Et le danger de devenir esclave de ces outils censés nous faciliter la vie est réel. Entretien avec Pierre-Yves Noble, spécialiste de la détox digitale et à la tête de l’initiative citoyenne D-Connect qui verra prochainement le jour.
« Depuis plusieurs années, il y a un dogme du numérique, largement relayé par les médias, qui nous dit qu’on est entré dans une phase du numérique, que la digitalisation est inéluctable et que ceux qui ne veulent pas y adhérer resteront à quai », commence Pierre-Yves Noble. « Je trouve ce discours très anxiogène. Les médias, la société, les entreprises… poussent les gens vers une utilisation massive du numérique. Résultat, une grande majorité de personne se disent que c’est comme ça, qu’elles ne peuvent rien y faire. Elles se sentent dépendantes de leur appareil et finissent par réellement le devenir », poursuit-il.
C’est là que notre spécialiste en détox digitale a envie de répondre que non, ce n’est pas inéluctable. « L’homme a le choix d’embrasser ou non chaque nouvelle technologie qui se présente à lui. Il n’est pas nécessaire de se laisser lobotomiser par son smartphone pour tous les actes de la vie quotidienne. »
La digital détox, en quoi ça consiste ?
Pour notre expert, la détox digitale, c’est la prise de conscience qu’à un moment, l’hyperconnectivité met en péril la santé physique des gens. Et il n’est pas le seul à le penser… « Je vois, j’entends, je lis de plus en plus de choses sur ce sujet. La nécessité de se déconnecter par moment est en train d’interpeller de plus en plus de monde. »
Et cela peut passer par des choses très simples. A la maison d’abord, Pierre-Yves Noble suggère de ne pas utiliser son smartphone quand d’autres objets peuvent remplir la même fonction. « Une première étape est d’utiliser un bon vieux radio-réveil. Cela évite d’avoir du wifi qui tourne dans sa chambre toute la nuit et d’être, dès le réveil, confrontés à tous les messages et notifications arrivés pendant qu’on dormait. Scroller avant même de se lever, pour moi c’est un non-sens. » Autre point important pour lui, laisser de côté les objets connectés à certains moments, en particulier durant les repas. « Quand on est à table en famille, que l’on joue à un jeu de société avec son enfant ou que l’on regarde un film en famille, on laisse son téléphone de côté. A force de toujours vouloir être à tout en même temps, on n’est plus jamais totalement à quelque chose. » Pierre-Yves Noble est persuadé qu’il faut mettre en place une véritable éducation sociologique à l’utilisation des outils numériques et cela, dès le plus jeune âge.« Si les parents ne donnent pas l’exemple aux enfants, c’est très difficile pour eux de se fixer des limites », commente-t-il.
L’entreprise, première responsable
Si une partie de la détox digitale peut se faire à la maison, le plus gros du travail revient aux entreprises. Et si c’est là que c’est le plus difficile, c’est aussi là que c’est le plus nécessaire. « Des outils comme l’e-mail ou WhatsApp ont enfermé les travailleurs dans une spirale de l’immédiateté. Et cela, il faut en sortir. Aujourd’hui, si on n’a pas répondu dans les 10 minutes, l’interlocuteur s’impatiente. Pour le travailleur, il en découle un stress énorme. Et ces sollicitations incessantes justifient en partie l’explosion du nombre de burnouts », assure Pierre-Yves Noble. « Sans vouloir dire qu’il faut en revenir aux délais de l’ère du papier, il faut au moins laisser aux travailleurs la possibilité de prendre le temps de réfléchir avant de répondre. D’autant que cette demande de réactivité permanente nuit à la productivité, aux résultats et à la motivation des travailleurs. » Par ailleurs, communiquer uniquement par écrit peut aussi mener à des mauvaises interprétations. Par mail, on ne voit pas les expressions de son interlocuteur, on n’entend pas le ton de sa voix… et selon son humeur du jour, on peut mal interpréter ce qui nous est demandé avec un risque de mésententes et de conflits.
Plus de frontière entre vie privée et vie professionnelle
L’autre problème de cette hyperconnectivité est la disparition de la limite entre vie privée et vie professionnelle. « Nous vivons dans un monde où beaucoup de travailleurs, même en vacances au bord de la piscine, ressentent l’obligation d’être joignables », déclare Pierre-Yves Noble pour qui instaurer des « heures blanches » est indispensable. « Les entreprises, même celles qui travaillent au niveau international avec d’autres pays et qui ne sont pas sur les mêmes fuseaux horaires, doivent se rendre compte qu’il y a des limites à ne pas franchir. C’est très stressant et décourageant pour les travailleurs de quitter leur bureau le vendredi avec une boîte mail vide puis de revenir le lundi matin et de trouver 50 courriels avec des choses à faire dans leur boîte mail parce que d’autres ont travaillé durant le week-end. Cela crée ce qu’on appelle l’angoisse du dimanche soir (voire du dimanche midi ou du dimanche matin dans les cas extrêmes) et la peur de ce qu’on va retrouver après s’être déconnecté pendant 2 jours. »
Osez la déconnection
Pierre-Yves Noble estime qu’aujourd’hui, les outils technologiques ne sont plus utilisés comme des alliés : on en est devenus leurs esclaves. « Nous allons vers un épuisement de l’homme par le numérique. Aussi, je plaide pour une décroissance digitale. Cela ne veut pas dire ne plus utiliser les outils numériques, mais de les utiliser à meilleur escient. Je trouve par exemple effarant de voir des collègues qui travaillent sur un même plateau communiquer par mail au lieu de faire quelques pas pour se parler. Il faut réfléchir à la vraie utilité des outils numériques pour mieux se les approprier et garder le contrôle dessus. »
La difficulté est que le changement ne pourra se faire que de manière globale. « Pour une entreprise seule, c’est compliqué de décider de laisser ses travailleurs se déconnecter à certaines heures si la concurrence ne le fait pas. Quelques entreprises pionnières coupent leurs serveurs pendant le week-end, mais ce n’est pas encore monnaie courante. J’en viens à me demander si un jour, il ne faudra pas passer par des obligations légales pour obtenir ce fameux droit aux heures blanches. »
Notre expert reste cependant optimiste : « J’ose espérer que la conscientisation, tant des entreprises que des individus eux-mêmes, finira par avoir lieu. Même si cela fait peur, il faut penser aux conséquences à long terme de l’hyperconnexion et agir en conséquence, tant au niveau individuel que collectif », conclut-il.
Quelques conseils
- Laissez à votre interlocuteur un délai de 24h pour répondre à votre e-mail.
- Si la question est vraiment urgente, privilégiez l’usage du téléphone.
- Allez voir votre collègue au lieu d’échanger 6 mails avec lui.
- Evitez autant que possible les « répondre à tous » qui polluent énormément les boîtes mails et augmentent le stress lié à la sursollicitation.
- Créez des espaces « no-tech » au sein de vos bureaux (tels que la cantine ou une salle de repos) comme cela se fait déjà en Californie, dans la Silicon Valley.
- Respectez les horaires et les périodes de repos/de congés de vos employés ou de vos travailleurs. Ils n’en seront que plus productifs à leur retour.
Gondola People
Cet article est tiré de notre site Gondola People. A la recherche d'un nouvel emploi ou d'une nouvelle recrue ?