Dans un marché britannique tendu suite à la concurrence sur le prix exacerbée par l'offensive d'Aldi et Lidl, et particulièrement inquiet face au risque croissant d'un Brexit "No Deal" qui serait catastrophique pour le secteur de la distribution alimentaire, le leader du marché Tesco annonce la suppression de 9.000 postes.
Le marché britannique de la distribution alimentaire est logé à la même enseigne que bien des pays européens: sur ce plan-là au moins, le Royaume-Uni ne fait pas exception. Il a connu en 2018 une croissance de 1.5%, assez comparable à celle enregistrée sur le continent. Ce marché est perturbé par des concurrents ambitieux: les Hard Discounters Aldi et Lidl y sont en plein essor. Et l'e-commerce atteint outre-Manche des taux de pénétration importants, qui viennent également grignoter de la part de marché.
Tesco n'en reste pas moins un solide leader, puisque son chiffre d'affaires de 51 milliards de livres (soit 59 milliards d'euros) lui attribue une part de marché de 27.8%. La fusion de ses rivaux Sainsbury's et Asda (Walmart), respectivement N°2 (15.8% de PDM) et N°3 (15.3% de PDM), annoncée au printemps dernier, devrait toutefois donner naissance à un pôle concurrent plus puissant encore, doté d'un parc de 2.800 points de vente. Cette fusion n'est pas finalisée: elle doit faire l'objet d'une approbation de la Competition and Markets Authority (CMA), l'autorité de la concurrence britannique, qui redoute qu'elle se traduise par une baisse de compétition à l'échelon local. Elle étudiera donc systématiquement les effets de cette fusion, à l'image de ce qui se fit chez nous lors de la fusion Ahold-Delhaize, ou l'Autorité belge de la concurrence imposa une série de cessions de magasins, là où elle jugeait que le nouvel ensemble bénéficierait d'une position trop dominante. La tâche est, pour la fusion Sainsbury's et Asda, colossale, et elle devrait durer au moins un an, avant de permettre la concrétisation du deal.
Cost cutting
Tesco, qui emploie plus de 300.000 collaborateurs et compte un parc de 3.400 magasins, a confirmé vouloir supprimer pas moins de 9.000 postes, à la fois en centrale, mais aussi en point de vente. On note par exemple que l'enseigne va supprimer le comptoir-service traditionnel en boucherie, poissonnerie et boulangerie dans 90 magasins, tandis que les horaires d'ouverture de ce service pourraient être comprimés dans certains de ses 732 magasins de grand format.
Cette mesure s'inscrit dans la perspective d'un plan plus large visant à diminuer de 1.5 milliard de livres ( 1.73 milliard d'euros) les coûts de Tesco. Cette coupe dans les effectifs choque les syndicats qui soulignent que le personnel a largement contribué à la performance de l'entreprise, qui lui a valu récemment d'aligner 12 mois de croissance ininterrompue. Tesco avait déjà supprimé 1.700 emplois l'an passé, en éliminant une couche de middle management dans sa structure, puis en fermant une de ses plateformes de Call-centre téléphonique. Depuis son arrivée à la tête du Groupe Tesco à la fin 2014, le Chief Executive David Lewis (représenté sur la photo ci-dessus) a souvent taillé dans les effectifs: 5.000 postes de management, 4.000 jobs à l'étranger dans la filiale bancaire, ou encore la fermeture de 48 magasins déficitaires. Tesco reste puissant, mais court toujours derrière le profit, depuis le scandale de fraude comptable qui l'a entaché en 2014.
Jack's, une tentative de réponse aux Hard Discounters
Dans un marché britannique où les salaires des emplois non qualifiés sont bas, la problématique de pouvoir d'achat anémie la croissance et bénéficie aux enseignes jouant résolument, comme Aldi et Lidl, la carte du prix. La part de marché des Hard Discounters a rien moins que doublé au cours des 5 dernières années et atteint 13.1%, si l'on cumule celle d'Aldi (7.6%) et celle de Lidl (5.5%). Tesco entend bien rendre les coups, et a lancé en septembre dernier une nouvelle enseigne, Jack's, dont la mission est claire: être l'offre locale la plus économique, en utilisant un concept assez proche de celui des discounters, avec un assortiment resseré autour des best sellers. Jack's aligne 2.600 références, au lieu des 28.000 présentes dans un grand Tesco, en ce compris 700 références de marques nationales, le reste étant de la MDD brandée Jack's. Le déploiement de Jack's est plutôt prudent, avec une quinzaine d'ouvertures prévues pour l'instant. Le succès d'une telle formule plus basique n'est pas ceci dit garanti: tant Sainsbury's (en 2014 avec Netto) que Asda (en 2006 avec Asda Essentials) s'y sont cassé les dents, et ont fini par jeter l'éponge.
Comme si ces difficultés ne suffisaient pas, Tesco est confronté, tout comme ses concurrents, au risque toujours plus présent d'un Brexit assorti d'un "No Deal". Un vrai cauchemar logistique, mais aussi commercial, qui a justifié l'envoi cette semaine au Gouvernement de Theresa May d'une lettre conjointe des patrons de Sainsbury’s, Asda, Marks & Spencer, Co-op et Waitrose, où ceux-ci font part de leure vive inquiétude par rapport au chaos qu'entraînerait une telle hypothèse.