Ce lundi 14 janvier sera l’heure de vérité, celle du débat parlementaire qui verra le projet de deal soumis par Theresa May approuvé sans enthousiasme, ou au contraire rejeté, rendant soudainement plus probable le scénario d’un Hard Brexit. Les food retailers britanniques ne peuvent plus attendre: ils sont tous occupés à stocker la nourriture pour pallier les risques que feraient peser sur la supply chain le chaos douanier qui en découlerait.
Le feuilleton du Brexit arrivera peut-être à son terme ce 14 janvier prochain, avec le vote aux Communes sur la proposition de deal soumise par Theresa May. Une échéance qui est aussi celle de tous les dangers. Le premier ministre n’est pas seulement soumise au bon-vouloir de son propre parti, écartelé entre plusieurs factions. Elle est aussi prisonnière du petit parti unioniste nord-irlandais, le DUP, qui assure de justesse sa majorité, et qui refuse tout compromis permettant de solutionner le délicat problème de la frontière avec l’Irlande.
En réalité, personne n’aime le deal de Theresa May, et personne ne semble enthousiaste à l’idée de le soutenir. Ni les Hard Brexiters, ni les Remainers, qui préféreraient le status quo, ni l’Opposition travailliste de Jeremy Corbyn, qui vise un renversement du gouvernement, et prétend pouvoir renégocier avec Bruxelles.
Du côté de l’Union européenne, l’exaspération règne, et on a en tout clairement fait comprendre au monde politique britannique qu’il n’y aurait pas de renégociation possible, le deal est à prendre ou à laisser. Les Britanniques ont choisi de quitter l’Union, c’est eux qui ont choisi de déclencher volontairement l’article 50 du Traité de Lisbonne engageant la procédure de séparation de 2 ans alors qu’ils étaient notoirement dans un état d’impréparation total, et l’Europe ne saurait en aucun cas discuter avec d’autres partenaires que le gouvernement. Et tant pis si celui-ci n’a manifestement pas l’autorité nécessaire
Les food retailers stockent autant qu’ils le peuvent
Tout ceci intervient sous les yeux effarés du monde du business britannique, qui redoute non seulement de voir la réintroduction de barrières douanières ruiner la compétitivité de leurs exportations vers l’Union, premier partenaire commercial de la Grande-Bretagne, mais qui s’attend surtout à une situation totalement chaotique au 1er avril prochain, en cas de Hard Brexit. La réapparition des procédures de dédouanement aurait des conséquences logistiques catastrophiques: ports congestionnés, kilomètres de files de camion en attente, pénurie de produits, ruptures de chaînes d’approvisionnement pour les industries travaillant en “Just in time”, comme l’automobile ou l’avionneur Airbus.
Et côté retail, l’heure est en ce moment même à la mobilisation générale, avec des “contingency plans” mis en place à toute hâte pour accumuler des stocks de produits alimentaires destinés à éviter que ce chaos logistique vide du jour au lendemain leurs rayons. Tous les food retailers augmentent leurs volumes de stocks. Le patron de Tesco, Dave Lewis, a reconnu que ses équipes d’achat étaient engagées dans un round de négociation exceptionnel pour bourrer les entrepôts de produits non-périssables, comme les conserves. Mais il ajoute aussi que de telles mesures sont impossibles pour les produits frais, dont la moitié sont importés. Même son de cloche chez Lidl, qui a créé un departement spécial “Brexit”, ou chez Marks & Spencer, dont le CEO Steve Rowe avertit toutefois que son assortiment alimentaire étant à 70% composé de frais, les mesures actuelles ne sont qu’un pis-aller. Et le patron de Sainsburry’s, Mike Coupe, souligne qu’un Hard Brexit serait malgré tout extrêmement disruptif, puisque son enseigne importe de l’UE 30% de ses produits alimentaires, et que ni elle, ni aucun de ses concurrents, ne dispose de la capacité de stockage nécessaire pour anticiper une pénurie de plus de quelques jours.
Cette multiplication des alertes du secteur privé invite certains observateurs à désormais écarter l’hypothèse d’un hard Brexit. Soit qu’elle convainque les parlementaires tories à soutenir à reculons la proposition de Theresa May. Soit, en cas de rejet et d’impasse politique, qu’elle fasse resurgir l’hypothèse d’un deuxième referendum. Mais ce sont là des hypothèses sur lesquelles ne peut tabler le retail.