Longtemps, il a été le maestro des fruits et des légumes. Aujourd’hui, lui et sa société doivent se serrer la ceinture. Qu’est-il donc arrivé à Hein Deprez, le grand patron de Greenyard?
Hein Deprez dort-il du sommeil des justes? Est-il plutôt du genre à se tourner et retourner dans son lit en pestant? On ne le lui souhaite pas, sinon ses nuits doivent être aujourd’hui agitées.
Greenyard, la multinationale de fruits et légumes qu’il dirige, fait face à une montagne de dettes de 350 millions d’euros. Un problème qu’Hein Deprez ne parvient pas à résoudre. Jeudi 1er août, l’action de la société a chuté de 16%: les analystes se montrent perplexes à l’hypothèse qu’Hein Deprez parvienne à rembourser les dettes de son entreprise. Par rapport au début de l’année, la valeur de l’action a chuté de 63%. Non seulement Greenyard, mais aussi The Meadow View - la holding détenant les sociétés The Fruit Farm Group et Orchards Invest, qu’Hein Deprez contrôle à 90% - est confrontée à une dette importante : 50 millions d'euros.
Quelle contraste avec 2017, lorsque Gondola interviewait un Hein Deprez qui semblait transformer en or tout ce qu’il touchait. Greenyard valait alors plus d'un milliard de dollars et était sur le point de reprendre son collègue américain Dole. Il aurait alors pu faire sien le refrain de la chanson des années ‘80 ‘The future’s so bright I gotta wear shades’. « Nous décevons encore trop souvent le consommateur » nous déclarait-il à l’époque, faisant alors référence à la qualité des produits qui pouvait encore être améliorée. Mais aujourd’hui, ce sont surtout les analystes et les actionnaires que Greenyard déçoit. Alors, comment en est-on arrivé là?
De la champignonnière à la multinationale
Hein Deprez a débuté sa carrière dans les années 80 avec une modeste production - une champignonnière - à Belsele et l’a intelligemment menée, jusquà en faire une véritable multinationale. « J’ai énormément appris lors de la première année » a-t-il déclaré à Gondola. « En fait, tout ce qui était nécessaire pour devenir ce que nous sommes aujourd’hui. Ma première leçon fut : comment livrer mes champignons le plus rapidement possible au consommateur ? Les choses doivent aller très vite pour des produits frais mais, à l’époque, c’était très compliqué, voire impossible. Nous avons donc commencé à travailler avec des organisations qui ‘représentent’ les consommateurs : les retailers. Et nous l’avons fait d’une manière que l’on qualifierait aujourd’hui de disruptive. Nous nous sommes penchés sur les souhaits du consommateur et sur la manière de créer de la plus-value pour le retail. Et pas seulement pour le retail : nous avons veillé aux deux bouts de la chaîne. Pour garantir un revenu durable au producteur, vous avez besoin des meilleurs substrats pour la culture des fruits et légumes. Je n’ai jamais pensé autrement : comment améliorer les revenus des producteurs et fournir la meilleure qualité à des prix durables ? ». Le rêve d’Hein Deprez était clair: être présent tout au long de la chaîne, du terreau aux supermarchés.
Quand est-ce que cela a mal tourné?
L’éclatement de ce rêve trouve racine dans plusieurs causes. Tout d'abord, l'été sec et chaud de l'an dernier a pesé lourdement sur les bénéfices de l'entreprise. Greenyard n'était pas seul, tout le secteur a tiré la sonnette d'alarme : les agriculteurs européens ont récolté 20 à 50% de haricots en moins, et la récolte d’oignons, de courgettes et d’épinards a également été bien plus faible qu’à l’accoutumée. Ce fut « la pire sécheresse enregistrée en quarante ans » a-t-on pu entendre auprès des associations sectorielles. Et ce à un moment où les conditions météorologiques causent de plus en plus de problèmes. Les dernières années n'ont pas été encourageantes à cet égard et l'avenir ne s'annonce pas brillant non plus.
Je n’ai jamais dit que j’étais manager. Ce n’est ni ma vocation, ni mon don. Je suis un entrepreneur. J’ai toujours externalisé la gestion
Mais Greenyard a dû faire face à un autre revers inattendu : une campagne mondiale de rappel à la suite d'une contamination bactérienne dans une usine hongroise, qui a causé 30 millions d’euros de dommages et une dégradation de l'image de l'entreprise. Mais quelle que soit la gravité de la situation, ce n'est pas la seule explication, affirme Hein Deprez dans un double entretien avec Marc Zwaaneveld, nommé co-CEO de Greenyard en janvier dernier, dans le quotidien De Tijd. Greenyard a grandi trop vite, a pris trop peu de temps pour prendre diverses mesures, admet-il en toute honnêteté. Des entreprises ont été reprises sans être correctement intégrées. L'idée générale était bonne, l'échelle est nécessaire pour survivre, mais la mise en œuvre n'était pas optimale. Un aveu de culpabilité. N’est-il dès lors pas un bon manager? Doit-on le blâmer? Dans les colonnes de nos confrères de De Tijd, Hein Deprez répond à la critique : « Je n’ai jamais dit que j’étais manager. Ce n’est ni ma vocation, ni mon don. Je suis un entrepreneur. J’ai toujours externalisé la gestion ».
Comment sortir de la crise?
Hein Deprez peut aujourd’hui compter sur Marc Zwaaneveld pour l’épauler dans la dure tâche qui l’attend: sortir de cette crise. A circonstances exceptionnelles, construction exceptionnelle: actionnaires et banques scrutent aujourd’hui leurs moindres faits et gestes. Et il n’y a pas mille et une façons de sortir de la crise actuelle, les deux CEO le savent. Il faudra compter d’une part sur une augmentation de capital, et d’autre part sur la cession de certaines entités de Greenyard. Les activités dans le domaine du terreau ont été vendues, de même qu’une usine de produits surgelés en Hongrie. Il est possible que les activités de bocaux de légumes disparaissent également. L’efficacité devra être améliorée et les différents départements devront être mieux coordonnés. Un plan de transformation a été mis en oeuvre, comprenant la suppression de 422 emplois.
Des décisions qui doivent faire mal à Hein Deprez, surtout aujourd’hui qu’il n’a plus ou peu de marge de manoeuvre. Les problèmes auxquels lui et son entreprise sont confrontés soulèvent une question plus profonde : une entreprise comme Greenyard peut-elle réaliser d'importantes marges bénéficiaires lorsque les supermarchés offrent des fruits et légumes au consommateur à des prix de plus en plus compétitifs et tendent à éliminer les intermédiaires en achetant directement aux agriculteurs ? Face à nos confrères du Tijd, Deprez se dit convaincu qu'il y aura certainement suffisamment de marges bénéficiaires si un partenariat vertical avec les supermarchés est mis en place. Lisez : si vous êtes présent à différents maillons de la chaîne, la stratégie qu’Hein Deprez a choisie il y a de cela des années. Il évoque les collaborations que Greenyard a conclues avec Carrefour Belgium et le leader du marché britannique Tesco. Selon lui, sans échelle, rien n'aurait pas été possible. Il n’abandonnera pas donc pas le rêve qu'il a nourri. “ Nous restons toujours pleinement engagés sur cette perspective, mais ce n’est pas scandaleux que de faire un pas en arrière.”