Bientôt interdits, les listing fees, contributions marketing, et paiements à 90 jours ou davantage? Franchement, on en doute. Mais une Directive européenne pourrait bien les interdire face à des producteurs agricoles ou PME alimentaires.
La présentation par la Commission européenne ce 11 avril de son projet de Directive « relative aux pratiques commerciales déloyales dans les relations entre entreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement alimentaire » ne forme pas une véritable surprise: son texte circulait déjà, ce qui nous avait permis d'en prendre connaissance. Et accessoirement de vous éviter par la même occasion le déchiffrement de 38 pages rédigées en langage juridique pour aller à l'essentiel. En l'occurrence la page 18, où l'article 3 liste les pratiques que les Etats Membres se devraient de proscrire à travers leur propre législation. Plus question pour un acheteur de denrées périssables de prévoir des conditions de paiement supérieures à 30 jours, d'annuler sans préavis une commande, de changer unilatéralement les termes d'un contrat d'approvisionnement, de retourner les invendus. Tout comme seraient interdites des pratiques aussi courantes dans le retail que les listing fees, quote-parts promo ou "contributions marketing".
La Directive ne vise certes que les relations entre acheteurs et producteurs agricoles ou PME de la filière alimentaire, à l'exclusion des grands groupes. Ce qui dilue déjà quelque peu sa portée: la plupart des retailers adoptent déjà des conditions d'achat moins dures à l'égard de ces acteurs plus modestes. Même Leclerc a du en France assouplir ses pratiques, face à la pression de l'opinion. Il n'empêche: une telle législation créerait un précédent, que pourraient tenter d'exploiter à l'avenir des producteurs bien plus puissants. Pour les grands fournisseurs, des contraintes telles que listings fees ou contributions marketing sont toutefois bien moins gênantes que l'hypothèse d'un alignement des tarifs business-to-business pratiqués dans l'Union...
EuroCommerce, le lobby qui représente les intérêts des retailers à Bruxelles, juge en tout cas le principe même d'une telle législation inutile, et même néfaste. D'abord, soutient l'organisation, le document proposé s'appuie sur des perceptions et non sur des faits avérés. Ensuite, il se trompe sur la capacité d'une telle régulation à favoriser le sort des agriculteurs. "Après des années d'analyse, une compréhension appropriée du fonctionnement de la supply chain alimentaire manque toujours à l'approche de la Commission, particulièrement sur la façon dont les prix sont fixés, et la valeur distribuée à travers la chaîne." C'est précisément dans les pays (plutôt nordiques) où le cadre légal est le plus minimal que le sort des agriculteurs est le plus favorable. "Nous sommes contre le principe d'une législation qui rigidifie les pratiques" nous dit Christian Verschueren, Directeur Général d'EuroCommerce, en soulignant que la culture de la médiation et du dialogue, concrétisée par des plateformes telles que la Supply Chain Initiative, se montre en réalité bien plus efficace.
Mais si la législation européenne aboutit à fixer un seuil de bonnes pratiques minimum, qui sont en réalité déjà observées par la plupart des retailers européens, en quoi ceci pose-t-il problème? Christian Verschueren nous répond sans détour: "Tout le problème de cette Directive est aussi qu'elle n'harmoniserait rien ! Tous les pays de l'Union disposent d'un cadre légal encadrant les contrats, et c'est d'ailleurs ce qui avait poussé la Commission à écarter elle-même en 2016 l'idée d'une législation européenne qui n'apporterait pas de réelle valeur ajoutée. Une telle Directive, en ne fixant que des normes minimum, laisserait aux Etats Membres la possibilité d'adopter des mesures allant au-delà, avec le risque réel que ceci ouvre la porte à des perturbations de concurrence délibérément protectionnistes."
Le projet de Directive risque d'être bien accueilli par le Parlement européen, traditionnellement favorable aux mesures généreuses, et moins sensible à l'examen pragmatique de leur portée. Autant dire que cette Directive s'inscrit aussi et d'abord dans un agenda politique, à un an des élections européennes. Le Commissaire à l'Agriculture, l'Irlandais Phil Hogan, devra bientôt faire digérer au monde agricole une sensible diminution de son budget. La contribution financière britannique va disparaître, et le Président de la Commission Jean-Claude Juncker souhaite réorienter l'effort sur la sécurité extérieure, la politique migratoire et la digitalisation. Un signal positif envoyé aux agriculteurs est dans ce contexte plus que bienvenu...