Quatre producteurs belges de biscuits, Colruyt et Delhaize ont réalisé en mars un projet-pilote de mutualisation de leur livraisons. Au lieu de livrer les commandes en direct aux centres logistiques des deux grands retailers, ces producteurs ont livré leurs palettes à une plateforme intermédiaire, d’où leurs biscuits sont partis en camions complets. Ce test est une innovation de taille, car pour la première fois, des concurrents collaborent pour réduire le nombre de camions sur les routes.
Le test en conditions réelles a été réalisé dans le cadre du projet ‘Multi Supplier-Multi Retailer platform’ (MS-MR). Celui-ci est le premier de neuf projets-pilotes ‘Horizon 2020’ de l’UE visant à réduire le nombre de camions sur les routes, leurs émissions de CO2 et la congestion.
« Bien que nous consommons aujourd’hui à peine plus qu’avant, notre mode de consommation a changé, entre autres sous l’influence de l’e-commerce. Les expéditions des producteurs vers les retailers sont plus fragmentées, de sorte qu’il faut davantage de camions pour effectuer les transports. Chez les retailers, on assiste à une multiplication des livraisons ce qui pose des problèmes de capacité », explique Alex Van Breedam, le CEO de Trivizor, une société d’’orchestration logistique’ qui a servi d’interface neutre entre les divers participants.
L’idée de base du projet est de faire transiter les envois par la plate-forme MS-MR pour les mutualiser (grouper) avant d’effectuer la livraison aux retailers. « Au lieu d’envoyer un camion chargé partiellement depuis chacun des producteurs (en l’occurrence Poppies, Vondelmolen, Vermeiren Princeps en Desobry) vers les centres logistique de Colruyt et Delhaize, les flux passent par la plate-forme où ils sont temporairement stockés. De là, ils partent en camions complets vers les retailers », dit Van Breedam.
Changement de mentalité
Cela peut paraître logique et simple, mais ce n’est pas le cas. « Cela implique une collaboration horizontale entre concurrents, tant du côté des producteurs que de celui des retailers. Celle-ci n’est possible que si les mentalités sont ouvertes à cette collaboration. Il y a cinq ans, jamais ma direction n’aurait accepté de participer à un tel projet. Mais aujourd’hui, les mentalités ont changé, entre autres grâce à la volonté de réduire l’empreinte écologique des transports », estime Luc D’Hondt, manager European Transport Optimalization de Delhaize.
Outre les mentaités, il y avait un deuxième écueil : la législation européenne en matière de concurrence. Dans bons nombres de cas, la collaboration entre concurrents peut être interprétée comme une distorsion de la concurrence, voire comme une pratique de cartel. C’est la raison pour laquelle toute l’organisation des flux a été confiée à un intermédiaire neutre, Trivizor, et que chaque étape dans l’élaboration du projet a été vérifiée par un conseiller juridique.
Le test
Pendant tout le mois de mars, les producteurs de biscuits ont fait transiter leurs envois par le centre logistique de Kuehne+Nagel à Malines-Sud, qui faisait office de plate-forme MS-MR. De là ils ont été transportés dans la mesure du possible par camion complet vers quatre sites de Delhaize et Colruyt.
Au total, 982 palettes ont été acheminées par 32 camions vers la plate-forme MS-MR. Ces camions étaient chargés à 98%. A la sortie, ce sont 940 palettes qui sont parties dans 33 camions avec un taux de remplissage de 89%.
Des chargements plus complets
Deux des quatres producteurs de biscuits sont relativement plus petits et ils n’arrivent en général pas à remplir tout un camion vers Delhaize ou Colruyt. Du fait qu’ils pouvaient livrer en un seul endroit, ils ont pu grouper leurs envois, ce qui explique le taux de remplissage très élevé à l’aller.
Les deux autres – Poppies et Volmolen - sont aujourd’hui déjà en mesure de livrer par camions complets aux centres logistiques des deux retailers. A première vue, le projet n’a donc pas d’intérêt pour eux. Ce n’est pourtant pas le cas. « Nous ne livrons pas toujours par camion complet. Vers les retailers plus petits ou les grossistes,les charges sont incomplètes. La plate-forme MS-MR est ouverte. Cela veut dire que si d’autres retailers s’y ajoutent, le projet devient beaucoup plus intéressant pour nous également », explique Marc Creupelandt, sales manager de Vondelmolen.
Et après ?
« Début juin, tous les participants au projet évalueront le nombre de transports qu’ils ont pu éviter. Ils feront une analyse économique et écologique et décideront s’ils poursuivent le projet et s’ils mettent en place une réelle plate-forme MS-MR. Le cas échéant, ils procèderont à un appel d’offres pour choisir son opérateur logistique. De plus, ils chercheront alors à impliquer davantage de producteurs et de retailers. Plus il y a de participants et plus leurs flux sont fragmentés, plus le concept devient intéressant pour toutes les parties impliquées », précise Van Breedam.
Si l’évaluation par les patricipants au projet s’avère positive, l’expérience pourrait être étendue à d’autres produits que les biscuits. L’avantage sera alors qu’une bonne partie des obstacles légaux et opérationnels auront été identifiés, de sorte qu’il sera plus facile de mettre en place d’autres plate-formes MS-MR.