+ Plus Opinion « C'est l'occasion de donner un nouveau visage à la consommation »
La crise du Covid-19 est plus qu'une crise, c'est aussi un tremplin vers une nouvelle économie, affirment Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola, et l'économiste Bruno Colmant. « Il faut apporter un message d’espoir dans un contexte de peur. » Autant de propos tenus au cours d'en entretien avec le quotidien Le Soir.
La crise du Covid-19 est un sacrifice pour de nombreuses entreprises et familles. Sur le plan financier, nombreux sont ceux qui ont des difficultés. « Je crains une dualisation de la société, un écart grandissant entre les plus aisés et les plus démunis », déclare Bruno Colmant. « Avant la crise sanitaire, on parlait déjà de la perte de l’homogénéité de la classe moyenne. Aujourd’hui, la fissure s’étend. » La situation n'est pas facile, mais il est important « d'apporter un message d'espoir », déclare Pierre Alexandre Billiet. « Cette crise a ceci de pervers qu’elle est invisible parce que nous vivons encore sur nos acquis. Et parce qu’il n’y a pas de nouveau système pour réinvestir dans une nouvelle économie. C’est le moment de repenser notre fonctionnement sur la base de cette idée que nous relançons : un pacte à la consommation. Cela passe par une responsabilisation de la consommation. Aujourd’hui, le consommateur achète de manière automatique, récurrente, sans se poser de question sur l’impact de ses achats. Or, en Belgique, la consommation des ménages représente plus de 50% de notre économie. Le choix individuel de ce que nous consommons définit donc en grande partie notre économie. Mais le consommateur n’en a plus conscience, il est déresponsabilisé car on a complètement découplé l’acte d’achat et son impact économique. Un pacte à la consommation pourrait redonner du sens aux actes d’achat posés par les citoyens et à l’économie locale, comme l’agriculture. Celle-ci est dans un état catastrophique. Il y a 70% d’agriculteurs en moins depuis les années 90… »
Depuis la crise du Covid-19 et le confinement, on parle beaucoup de la consommation locale, mais cela ne se traduit pas dans les faits, selon Pierre-Alexandre Billiet. « La consommation locale est restée anecdotique durant le confinement. Et l’élan vers les circuits courts est vite retombé. Certes, la croissance du local est aussi rapide que celle de l’e-commerce, c’est-à-dire d’environ 15% par an. Mais ses parts de marché restent minimales. Nous pensons donc qu’il doit devenir systémique, en instaurant un système de consommation locale dans notre économie d’imports et d’exports, sans fermer nos frontières. Reste ce défi : créer un cadre économique tendant vers cette consommation locale, dans un contexte de peur et dans celui d’une consolidation des grandes entreprises multinationales. »
Une économie locale est impossible sans monnaie locale : faute de celle-ci, elle n'occupera qu'une place marginale, estime Pierre-Alexandre Billiet. « De tels systèmes de paiement parallèles existent déjà, sous forme de titres-repas. Vous pouvez développer quelque chose de similaire pour donner un coup de pouce à la consommation locale. » Bruno Colmant poursuit : « L'argent virtuel, assorti d'une date limite de validité, et destiné à un usage précis, comme les bons d'achats alimentaires ou les chèques-repas, cela a du sens, et aide ceux qui sont au bout de la chaîne de consommation. »
Pierre-Alexandre Billiet évoque la problématique agricole : « Ce soutien doit aller de pair avec une agriculture aussi locale que possible. Nos industries agricoles et agro-alimentaires sont au top de la classe mondiale, même si nous n'en sommes pas conscients. La consommation locale doit soutenir une production locale qui s'étiole. Il s'agit de créer un écosystème qui n'entre pas nécessairement en concurrence avec une économie ouverte. Celle-ci ne vivrait plus aux dépens de l'économie et du pouvoir d'achat local. » Il y a pourtant un obstacle: acheter local est plus coûteux. « Nous payons un surcoût de 8%, parce que les coûts salariaux sont chez nous plus élevés. Mais ceci peut être transformé en investissements dans l'économie locale, en parts sociales de manufacturiers ou d'agriculteurs belges. Plus on consommera, plus le consommateur deviendra actionnaire de la consommation belge. Au début du confinement, l'agriculture a bondi parce que la population craignait de manquer de quoi s'alimenter. La consommation locale n'est plus une question d'ordre philosophique, mais un choix éthique, et aussi une nécessité existentielle, incontournable. La crise sera cruelle. Il nous faut une réponse forte, qui sera non seulement individuelle (avoir à manger), collective (investir dans les générations à venir) et éthique (créer un sens à l'investissement) Dès demain, on peut commencer à changer le monde en consommant autrement. »
Pour soutenir la production locale, Pierre-Alexandre Billiet envisage encore une autre hypothèse : mettre en place un tax-shelter tel que pour le cinéma. « Nous avons déjà perdu nos industries nationales, nos banques. Nous sommes occupés à céder notre propre consommation. On ne peut pas l'admettre. » Bruno Colmant conclut : « Notre pacte de consommation prévoit aussi le développement de champions locaux du digital, face aux acteurs étrangers. Nous aurions dû le faire bien plus tôt, parce que l'e-commerce a été dopé par le confinement. Ce sont hélas à nouveau des acteurs étrangers qui en ont tiré le principal profit. »
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