Comment une vénérable enseigne belge parvient à totalement se réinventer pour s’affirmer comme l’une des plus belles success-stories du paysage commercial belge. Rencontre avec Marc Peeters et Marthe Palmans, deux membres éminents du management de Veritas, à l’heure où la marque accélère une évolution qui lui a fait rencontrer un succès si insolent.
Nom: Veritas; date de naissance:1892. Rares sont les enseignes belgo-belges pouvant se targuer d’une telle longévité. Longtemps, son activité reposa sur un business model assez particulier: ce-lui d’une coopérative, un “bottom up business”. Avec ce que ceci comportait de spécificité pour une culture d’entreprise fortement imprégnée par une mentalité de commerçants indépendants, et contrôlée par sept familles descendant des fondateurs. Autant d’aspects qui allaient subir une pro-fonde transformation en 2001, afin d’offrir à l’enseigne les moyens de continuer à évoluer harmonieusement dans son marché. Une métamorphose dont Marc Peeters, CEO du Verigroup et Président du Conseil d’administration des filiales Veritas et Veriac, nous décrit à la fois l’origine et les difficultés: “Vers 1985, l’univers du retail a profondément changé. Il ne s’agissait plus seulement pour réussir de louer l’emplacement le plus favorable, et d’y bourrer autant que possible les rayons de produits. La nouvelle donne touchait tout particulièrement le secteur textile, où il devint impératif d’évoluer pour survivre.” Une évolution d’autant plus nécessaire pour Veritas que celle-ci fonctionnait toujours suivant le modèle hérité du XIXe siècle. Dans le courant des années 90, l’entreprise fit appel à un bureau de consultance externe. “Ses conclusions, exclusivement axées sur le fonctionnement coopératif”, juge Marc Peeters, “posaient le mauvais diagnostic, et ne permettaient pas de réévaluer le fonctionnement de l’entreprise avec un oeil neuf, débarrassé de tout préjugé.”
Alors plutôt que de chercher les réponses à l’extérieur, les coopérateurs ont fini par se rendre à l’évidence: c’est d’abord à eux qu’il appartenait de tout remettre à plat, d’engager des discussions sur le processus de changement. Un chantier considérable qui finit par aboutir le 26 janvier 2001 à une totale métamorphose de la structure et du mode de gouvernance. La coopérative fit place à un holding, Verihold, chapeautant deux sociétés anonymes. Veriac s.a. jouerait le rôle de centrale, gérant les achats, les assortiments, la logistique. Et Veritas s.a. regrouperait le réseau de magasins proprement dit. Chaque coopérateur eut alors le choix entre 4 options différentes. De-venir actionnaire de Verihold et signer un contrat de franchise pour exploiter un magasin Veritas. Devenir actionnaire du holding, mais céder son magasin. Devenir franchisé sans être actionnaire. Ou bien sûr quitter la maison en tant qu’actionnaire et en tant que commerçant. Au-delà de l’aspect capitalistique, cette nouvelle configuration opérait une véritable révolution dans le mode de fonctionnement, passant d’un modèle “bottum up” tâchant de concilier les perspectives de nombreux commerçants à un modèle “top down” plus à même de redéfinir un concept homogène.
Métamorphose. Moins de dix ans plus tard, le chemin parcouru est impressionnant. De 56 magasins en 2001, le réseau est aujourd’hui passé à 82 points de vente, en attendant l’ouverture de 6 autres implantations avant la fin de l’année. L’enseigne ne comptait que 7 magasins intégrés en 2001, elle en possède aujourd’hui 33. Un choix délibéré que celui de ne pas faire reposer exclusivement la croissance sur la franchise: il était capital d’avoir une parfaite maîtrise du concept pour lui permettre de s’exprimer et se différencier. La dernière décennie a vu Veritas transformer de fond en comble ses procédures et rénover des magasins qui en avaient bien besoin. Ce qui fut paradoxalement presque une chance. En révisant tous ses fondamentaux, le management de Veritas pouvait d’autant mieux laisser s’exprimer sa conviction: il était temps de passer d’une marque-enseigne à une marque tout court. De proposer au consommateur plus qu’un réseau de vente, une promesse. Celle de Veritas, “Exprimez-vous”, se veut une réponse à une attente de bien des clientes: l’individualisation. Dans un univers du prêt-à-porter de plus en plus contrôlé par des marques globales, telles que les H&M ou Zara, le risque est réel de voir les femmes “porter l’uniforme”. Elles n’en sont que plus soucieuse de personnaliser leur toilette avec des accessoires. Le concept mis en place par Veritas dépasse dès lors le seul aspect des magasins, il se traduit dans l’assortiment, organisé autour de deux grandes familles ou collections. D’une part, le “Prêt-à-créer”, une gamme d’articles permettant à chaque cliente de laisser libre cours à sa créativité. D’autre part, le “Prêt-à-combiner”, un large assortiment d’accessoires permettant à la femme de personnaliser sa tenue. Le résultat de cette logique nouvelle, c’est que Veritas couvre un champ bien plus large que son territoire originel de la mercerie traditionnelle, et le plaisir a fait sa joyeuse entrée dans la shopping experience, ainsi que nous le confirme Marthe Palmans, CEO de Veritas s.a. et Veriac s.a.: “L’aspect utilitaire baisse, l’aspect émotionnel augmente. Les femmes qui visitent nos magasins ne viennent plus seulement y chercher un article utile, elles viennent “véritasser”, si j’ose ce néologisme. Bien sûr, ceci impose des exigences à notre politique de communication et d’animation: il ne suffit plus seulement de générer le trafic, il faut aussi in-spirer la consommatrice, l’alimenter en idées. Ce que nous faisons notammment quatre fois par an en collaboration avec des magazines tels que Libelle ou Femme d’Aujourd’hui.”
Une marque, trois concepts. Une fois mise en mouvement, on n’arrête plus l’évolution. Et aujourd’hui, Veritas pousse un pas plus loin cette logique. Plutôt que de proposer un concept de magasin unique, la marque le segmente en trois concepts différents, adaptés à des attentes et des implantations géographiques spécifiques. Le concept “Basic” se veut généraliste, il couvre l’ensemble des besoins de la cliente et toutes les valeurs de la marque. Le concept “Nostalgic”, déjà présent à Gand, Malines et Anvers, est plus spécifiquement dédié au “Prêt-à-créer”, qu’il présente dans un esprit d’authenticité. Enfin, le concept “Image”, récemment inauguré dans le magasin-pilote du Meir (Leysstraat), et qui sera bientôt aussi traduit à Bruxelles et Luxembourg, est tout entier tourné vers l’achat plaisir. Dans cette segmentation, les concepts ne se veulent pas concurrents mais complémentaires. L’ouverture du magasin anversois “Image” du Meir n’a semble-t-il pas du tout cannibalisé les ventes du magasin “Nostalgic” tout proche (Frankrijklei) ni celle du point de vente “Basic” du Schoenmarkt, à peine plus éloigné. A chaque concept son rôle: “Basic” répond aux attentes du “Run shopper”, “Nostalgic” à celles du “Destination shopper”, “Image” jouera la carte du “Fun shopping”. Au total, cette politique ne fait que renforcer l’image de la marque, en densifiant sa présence sur les principales artères commerçantes des grandes villes belges, celles-là même ou sont implantées les principales enseignes textiles “globales”. Si ces endroits d’important passage sont bien entendu une cible prioritaire pour l’expansion, Veritas ne néglige pas pour autant les centres urbains de taille plus modeste: des magasins se sont ouverts à Huy, Ciney, Mol, Herentals, Geel, Heist-op-den-Berg, en attendant Libramont en 2011. Et l’enseigne s’est implantée avec succès au Grand-Duché de Luxembourg, un territoire où elle ne pouvait pourtant bénéficier de la notoriété dont elle jouit en Belgique.
Les ambitions sont énormes, à la hauteur des résultats: 14,1% de croissance en 2009, dont 10% à surface constante, un panier moyen qui a progressé de 30% entre 2005 et 2009, qui dit mieux? Marc Peeters et Marthe Palmans sont convaincus que le déploiement de la nouvelle stratégie leur permet de viser plus haut encore, tant sur le niveau de panier moyen que sur la taille du réseau: “Le potentiel au Belux dépasse au minimum les 100 magasins !” Ils s’apprêtent dès lors à consacrer près de 10 millions d’euros d’investissement à l’expansion entre 2010 et 2013. “C’est indispensable” ajoute Marc Peeters. “Un “nicheplayer” local se doit d’être incontournable sur son marché. Il lui faut aussi avoir un bon concept, agir en marque plutôt qu’en enseigne, et avoir une vision.” Voilà qui semble déjà bien parti...