#3 Quelle est la santé financière des exploitants indépendants de supermarchés dans notre pays ? L'expert financier Luc Roesems (Genea) passe au crible les bilans déposés par les sociétés abritant l'activité des supermarchés exploités en franchise ou affiliation par des indépendants. Malgré l'impact favorable de la crise sur les chiffres des supermarchés, en particulier ceux des magasins de proximité, il existe également certains dangers. Découvrez-les au cours des trois prochains jours sur Gondola.be. 

C'est un travail de bénédictin et un travail très utile, que celui mené par Luc Roesems. Il le conduit depuis 6 ans en Flandre, pour le compte de Buurtsuper.be, mais étudie également depuis 2019 les comptes des magasins francophones, en collaboration avec Aplsia, l'Association professionnelle francophone du libre-service indépendant en alimentation. Son périmètre couvre donc désormais l'ensemble de l'activité des supermarchés exploités en franchise ou affiliation dans notre pays. Gondola a récemment été invité à une réunion de travail commune avec Luc Roesems et Aplsia, ce qui nous permet de partager avec nos lecteurs les précieux enseignements de cette analyse. Après une analyse détaillée, retrouvez désormais ci-dessous la conclusion.

Tableau d'ensemble

Terminons par un tableau d'ensemble sélectionnant quelques données-clefs parmi toutes celles fournies par Luc Roesems. Outre les moyennes par région, ce tableau fournit aussi des chiffres spécifiques aux enseignes, mais exclusivement pour la Wallonie, compte tenu du respect du choix posé par Buurtsuper.be de ne pas livrer de détails par enseigne au nord du pays. Luc Bormans, président d'Aplsia, juge pour sa part que ce travail vise précisément à introduire davantage de transparence dans le marché. Pour autant, les éléments fournis pour la Wallonie n'ont pas valeur de classement des enseignes : les données se basent sur un échantillon, les moyennes individuelles peuvent être parfois faussées par la surreprésentation dans celui-ci de magasins en difficulté et nous le signalerons d'ailleurs en commentaires.

Conclusions : trop d'optimisme au départ ? Trop d'indulgence ensuite ?

C'est un portrait contrasté que l'on peut dresser à partir de l'examen de ces 659 bilans constituant l'échantillon. De nombreux commerçants se portent bien, mais les proportions élevées de ceux qui affichent des pertes ou des fonds propres négatifs inquiète les participants à la réunion. Le diagnostic que pose Luc Roesems sur ces deux facteurs de danger, est aussi celui des trois administrateurs d'Aplsia participant à la session de travail : Luc Bormans, Président ; Marc Hubert, Vice-Président ; et Sophie Bôval, Chargée de communication. “Pourquoi voit-on que ce sont surtout les jeunes sociétés qui affichent des pertes ? Il faut sérieusement se demander si ce n'est pas le fruit d'une expansion un peu sauvage. Et ceci tient à la fois à l'exploitant et au franchiseur.”

“Côté exploitants, on constate en pratique que les nouveaux entrants dépassent presque systématiquement leur budget. Et trop d'entreprises débutent avec un capital trop limité, ce qui est un leurre. C'est la responsabilité de l'entrepreneur, mais aussi celle du franchiseur. Peut-être le manque de candidats entrepreneurs sur le marché conduit-il à se montrer trop souple sur ce critère.”

Il est capital de pouvoir avertir un entrepreneur au moment où arrivent des problèmes

Luc Roesems

D'autres facteurs sont évoqués par les participants à la réunion : un manque de formation, le réalisme des études de marché et certainement l'optimisme systématique sur les charges, dans les business plans. “Quand on ouvre un nouveau magasin, on part souvent avec une mauvaise estimation des coûts de lancements ”, témoigne Luc Bormans. “Il faut deux ans pour sortir la tête de l'eau et en pratique, il y a sur cette période toujours à peu près 200.000 euros de charges, principalement commerciales, que n'avaient anticipées au départ ni l’exploitant, ni le franchiseur. L'erreur classique en début d'activité est de développer une offre en frais bien trop large face à la demande et cela coûte une fortune.” Plusieurs participants à la réunion pointent aussi un manque de support pratique et structurel sur le terrain pendant l’ouverture d’un nouveau magasin, ou du moins en temps utile ( de 6 mois à 1 an), de la part des franchiseurs : “Leurs équipes ont tendance à se focaliser sur les magasins où ça brûle. Le résultat, c'est que bien souvent, quand elles interviennent, il est déjà très tard.”

Luc Roesems partage pleinement ce constat : il est capital de fournir à l'entrepreneur les signaux d'alarme permettant d'agir à temps. Et trop d'experts-comptables agréés par les franchiseurs sont dans une position ambiguë, qui ne leur permet pas d'analyser la faiblesse des marges par catégories et avertir leurs clients du danger.

Reste encore la question des entreprises en difficulté manifeste. A la base, la maladie commune est presque toujours un manque de chiffre d'affaires, de marges commerciales, un manque d’expérience et de soutien pratique, des loyers trop élevés et un excès de pertes dans les rayons frais qui plombent le cash-flow net. Si elles survivent, c'est qu'elles sont souvent sous perfusion artificielle, à travers les dettes qu'elles ont envers leur principal fournisseur, la centrale du distributeur. Des dettes sur lesquelles le montant des intérêts de retard ne cesse de courir et de gonfler. Pour le franchiseur, la situation n'est peut-être pas idéale, mais elle lui permet malgré tout encore d'écouler de la marchandise à travers ses livraisons au magasin concerné. “Peut-être le franchiseur doit-il malgré tout se montrer ici à la fois responsable et lucide et prendre ses responsabilités. Faire le point et fixer une échéance, en se donnant deux ou trois ans pour redresser la situation.”

Paradoxalement, c'est peut-être une énorme crise sanitaire, avec les volumes importants de ventes additionnelles qu'elle génère, qui pourrait permettre aux commerces franchisés les plus fragiles de se refaire une santé. S'ils en profitent pour repartir du bon pied, ils ne pourront toutefois pas négliger d'identifier et traiter les causes de leurs problèmes préalables

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