Depuis le 19 août et la publication d’un article dans le Wall Street Journal, la rumeur enfle. Amazon s’apprêterait à ouvrir ses propres « grands » magasins physiques. Si le géant de Seattle a depuis longtemps investi l’univers du « brick-and-mortar » (Whole Foods, Amazon Go, Amazon Books, …), cette annonce doit nous amener à nous interroger sur l’hybridation du retail et sur la meilleure manière, pour les retailers belges, de s’y préparer.
Il nous faut d’abord constater qu’aujourd’hui le mouvement d’hybridation n’est plus unidirectionnel (offline vers online). Des acteurs online ont également compris les bénéfices qu’ils pouvaient en tirer et même les Digital Native Vertical Brand (DNVB), entreprises travaillant exclusivement online, s’y mettent. Pour les sociétés les plus avancées en matière d’intelligence artificielle, le rapprochement avec le monde réel présente des perspectives intéressantes. Les données accumulées sur les comportements online offrent des opportunités nouvelles.
Si le dynamic pricing est une pratique courante online, elle se heurte à des résistances dans le monde réel. Pourtant, il s’agit là selon moi d’un levier potentiel d’optimisation des marges et de réduction du churn (comme le fait par exemple Albert Heijn en diminuant pendant la journée les prix de certains produits dont l’échéance approche). Les retailers belges seraient donc bien inspirés d’utiliser leurs supermarchés comme un terrain d’expérimentation de la sensibilité du consommateur aux prix sans toutefois négliger les aspects éthiques.
L’autre opportunité que je vois se dessiner concerne les algorithmes de recommandations. Amazon est un champion en la matière. Son filtre collaboratif contribuerait à 35% des ventes et permet la découverte de produits dont les ventes sont associées. Or le retail physique obéit surtout à une logique de présentation des produits par catégories. La faible part de l’online n’a pas permis actuellement aux retailers classiques de devenir des champions en matière d’algorithmes de recommandation. Or l’utilisation des connaissances accumulées online pourrait permettre de « casser » cette logique catégorielle et de favoriser le cross-selling. Le retail belge aurait donc tout intérêt à développer des compétences pointues en la matière et à s’affranchir de la tentation de reproduire dans le monde online la logique du point de vente offline.
Est-ce à dire que les retailers belges doivent craindre Amazon ? La légitimité d’Amazon dans le non-alimentaire n’est plus à démontrer. La messe est dite. Par contre dans l’alimentaire la situation est tout à fait différente. Aux Etats-Unis Amazon a dû s’appuyer sur Wholefoods pour gagner en crédibilité mais ne dispose d’aucun appui de ce type en Europe. Il serait toutefois illusoire d’espérer que ce status quo perdure éternellement. Je pense que les retailers belges doivent se préparer. Tous doivent avoir à l’esprit les points forts du modèle transactionnel d’Amazon (rapidité, fiabilité, service) et trouver des points de différenciation qui fassent sens pour le consommateur. Il est par exemple regrettable que la qualité de service en Belgique ne soit pas au centre des préoccupations de tous les retailers, et que l'expérience client reste un concept flou, mal compris et mal mesuré (quand il l’est).
Au final, rester compétitif contre Amazon implique plusieurs décisions stratégiques des retailers belges :
- Un accent sur qualité de service exceptionnelle afin de fidéliser le consommateur
- Une éducation et des investissements dans les techniques algorithmiques
- Une expérience client différenciante qui transcende les simples aspects de service et digitaux
Pierre-Nicolas Schwab, fondateur de IntoTheMinds, une agence d'études de marché basée à Bruxelles.